Jean-Pierre Cottet, ex-Directeur des Antennes de France 2, France 3 et ex-Directeur Général de France 5, publie "La vie déplorable de Charles Buscarons" (Plon). Aujourd'hui patron de IO Production, il se lance dans l'écriture. Le livre renferme un style clair et des intrigues renseignées. Il est vrai que l'immense parcours audiovisuel de l'écrivain permet de se délecter au coin du feu avec confiance : une histoire d'amour fiévreuse et passionnée entre personnes naviguant dans les plus hautes sphères du pouvoir médiatique. Interview franche et sincère.
Ce n’est pas un roman « sur » l’univers de la télévision. J’ai voulu écrire une histoire qui traite de trois thèmes qui tournent dans ma tête : la passion amoureuse, les mécanismes hasardeux du pouvoir et enfin la recherche de la « vraie » vie. J’ai choisi l’univers de la télévision pour développer mon récit, parce que je le connais dans ses recoins les plus obscurs. C’est un des lieux où les rapports humains peuvent devenir violents. Les motivations négatives comme l’appétit de pouvoir, la vanité, la cupidité y prospèrent. Le temps y perd toute densité et les émotions leur sincérité. Je crois que la vie politique est un champ de bataille similaire, mais suivant l’adage qui dit qu’on ne parle bien que de ce qu’on connaît bien, j’ai choisi d’installer mes personnages dans ce monde bouillonnant de l’audiovisuel.
Une simple question de temps et d’instant. Je ne sais pas écrire avec la tête agitée par de multiples sollicitations. Il me faut du temps et du calme pour vivre avec mes personnages. Pendant quelques mois les conditions ont été réunies. J’admire les gens qui sont capables d’écrire des romans, diriger des journaux, participer à la vie mondaine, faire des conférences et participer à des émissions de télévision. Moi je serais déjà mort si je tenais un tel rythme et en plus je n’aime pas la vie mondaine. Je n’ai pas l’énergie et l’ouverture d’esprit qui me permettent de traiter autant d’informations à la fois. Je ne suis pas vif, je suis un besogneux, j’ai besoin de mâcher et remâcher les idées pour y voir clair. Je n’ai pas de fulgurances. Je suis une sorte de cargo, puissant mais lent.
Il n’est pas cynique. Comme moi, il a le sentiment d’avoir fait le tour de la question. Il se rend compte de la vacuité, de l’absence de traces que laissent ces existences en vibration permanente, il déteste la télévision qui symbolise tout ce qu’il exècre. La lecture de mon roman peut donner l’impression que c’est mon cas, mais bien au contraire, j’aime passionnément la télévision, je crois que ceux qui offrent tout leur talent pour qu’elle tire les téléspectateurs vers le haut conduisent un combat salutaire. Je n’aime pas ceux qui trahissent ces idéaux. Je répète sans cesse cette citation de Umberto Eco : « la télévision cultive ceux qui font un métier abrutissant, tant pis si elle abrutit ceux qui font un métier cultivant ». Mon ami Daniel Toscan du Plantier disait avec humour : « Les programmes de la télé ne sont pas coincés entre la Callas et le pétomane ». Néanmoins la télévision a un chemin étroit entre le refus de la vulgarité et la bêtise et toutes les formes d’élitisme. Sa principale vertu c’est la générosité culturelle. Il ne faut pas parler aux gens là où on voudrait qu’ils soient mais là où ils sont.
J’aime les femmes, dans tous les sens du mot aimer. J’ai adoré écrire ce roman car, entre autres privilèges, j’ai pu me glisser dans leur peau et regarder le monde à travers les yeux de Martha. Les univers sans femme sont irrespirables. J’ai souvent remarqué qu’une assemblée uniquement constituée d’hommes perdait assez rapidement sa dignité et son élégance. Je ne peux pas savoir si c’est réciproque mais je sais que dès qu’une femme arrive les comportements s’affinent. Les hommes s’efforcent de se montrer sous un bon angle.
Les liens entre l’audiovisuel et la politique sont étroits. Les mœurs se ressemblent mais contrairement à ce que chacun croit, ils se porteraient très bien en établissant un peu de distance entre eux. La télévision maltraite les politiques et contribue à déprécier leur image et leur rôle. Je suis désolé de voir des dirigeants se précipiter sur tous les plateaux, vers tous les micros pour se retrouver parfois dans des situations désobligeantes. L’engagement politique mérite mieux.
Je ne crois pas que ce soit un mal français. Je ne vais pas rajouter l’audiovisuel au « french bashing » ambiant. Notre télévision reste parmi les meilleures du monde, mais elle a depuis quelque temps tendance à piquer vers le bas. Le Numérique la plombe.
Il ne faut pas confondre la disparition des émissions culturelles avec l’arrêt d’émissions à bout de souffle qui étaient le pré carré de quelques animateurs qui braillent et tentent, pour des raisons qui n’ont pas grand-chose à voir avec la culture, de mobiliser les médias, les artistes et les politiques pour défendre leurs intérêts. En général ils perdent de la voix quand on leur offre une autre émission en compensation. Le courage en télévision c’est d’arrêter des programmes vieillissants pour mettre du neuf, le talent c’est arrêter du médiocre ou du vermoulu pour faire mieux. La vraie question c’est donc la qualité du remplacement. Pour ma part j’aurais de longues histoires à raconter qui prouvent que la difficulté essentielle est d’innover et d’oser combattre toutes les résistances au changement.
C’est déjà le cas. C’est la fin d’un outil qui était bien utile pour créer du lien social. Peut-être les réseaux sociaux pourront-ils suppléer cette rupture ? Le problème majeur c’est l’émiettement des publics par la multiplication des réseaux qui conduit à l’éparpillement des budgets de production et à la paupérisation de l’offre. La TNT conduit à la catastrophe culturelle. La plupart des programmes sont in-regardables, inaudibles et provoquent le trou noir de l’intelligence. La notion de low-cost est un cache-misère, un mot anglais pour donner une tournure moderne et synthétique à l’idée qu’il n’y aura plus d’argent pour produire et qu’il faut malgré tout occuper l’antenne et le téléspectateur. On a les Anges de la Téléréalité qu’on mérite.
Je viens de répondre. Elles vont diminuer les investissements dans les programmes. Les financiers arrivent pour diminuer les coûts (les cost killers !), la qualité va baisser, l’audience va donc baisser et les recettes vont encore baisser. C’est une spirale délétère.
Si nous parvenons à convaincre la chaîne de continuer ces émissions d’Histoire et d’économie nous serons très heureux. Pour Le Monde d’Après nous n’avons pas su parler aux gens, il faut garder le même niveau d’ambition mais modifier la formule. Je suis solidaire des programmateurs des chaînes et de leur recherche de la meilleure audience. Il y a un plancher d’audience différent pour chaque type d’émission. La télévision publique sans public n’a pas de sens.
Oui, un matin je rêve de m’y mettre, mais le jour qui suit, je pense que je ne l’écrirai jamais car le plus dur n’est pas de rédiger mais de vendre. Je suis confronté à la promo. Heureusement pour moi la presse est très accueillante et je suis sensible à la qualité des critiques, mais je suis rapidement écorché et les années de télévision ne m’ont pas tanné le cuir, bien au contraire, comme les grands alcooliques qui sont ivres à la première goûte d’alcool, je suis imprégné par ces années d’affrontement et la confrontation avec « le marché » du livre est un moment difficile donc je vais attendre la fin des ventes de Buscarons pour savoir si je reprends le stylo.
Yasmina Jaafar