Mariette Darrigrand est sémiologue et dirige le cabinet "Des faits et Signes", spécialisé dans l’analyse du discours médiatique. Elle nous offre dans « Comment les médias nous parlent (mal) » aux Ed. François Bourin un livre sans concession sur les mots employés en temps de crise et pourquoi les mentalités cèdent au déclinisme.
Un ouvrage accessible et plein d’enseignements. Rencontre avec une femme concernée.
Comment vous est venue l’idée de ce livre ?
Je travaille, dans le cadre de mon cabinet d'études "Des faits et des signes", sur le discours médiatique et son vocabulaire. L'idée de ce livre m'est venue en constatant l'extraordinaire redondance de certains mots. La crise est décrite avec 5 ou 6 grandes notions, qui tournent en boucle. Elles ne sont pas fausses, mais trop seules. Leur monopole est un problème.
Vous réglez ses comptes à la "doxa", cette opinion majoritaire qui nous abandonne sans objectivité. Sommes-nous tous les "idiots utiles" des médias ?
Nous ne sommes pas idiots devant les médias au sens d'être bêtes. Mais en risque de ne pas fournir notre propre idiome. Idiot et idiomes, les deux mots sont liés. Chercher des termes spécifiques est une bon exercice pour qui veut être plus libre devant l'idéologie.
Celle-ci nous vient, non du discours bien articulés et repérables, mais d'images, de métaphores créées par ce que l'on appelle la Doxa ( depuis la philo grecque, pré-socratique) : les lieux communs, les truismes, l'opinion convenue.
Comment expliquez-vous que nous nous sentons de plus en plus libre alors que le conformisme règne ?
L'anticonformisme n'est pas nécessairement une révolte collective, spectaculaire. Je crois plus à des modes de résistance personnelle, parfois minuscule. Ce que Umberto Eco appelle la "guérilla sémiologique". Chacun de nous peut refuser un terme et en proposer un autre. Refuser les métaphores trop évidentes : la crise est une tempête, la mondialisation une catastrophe, ...
« Un grand fragile persuadé de vivre dans un pays fragile » sera comme anesthésié et attiré par les extrêmes. Comment vaincre ce déclinisme ambiant ?
Nous pouvons individuellement lutter en refusant certaines imageries. Par exemple, si quelqu'un nous dit que nous allons nous "fragiliser" en quittant notre emploi pour créer un entreprise ou travailler en indépendant, nous pouvons dire : "non, je vais prendre un risque mais je vais solidifier mon désir, mes rêves" etc.
J 'attaque beaucoup le mot 'Fragile' dans mon livre car les journalistes et les people l'emploient trop. Il y a un bon livre la dessus : "L'
Anti fragile" de l'économiste philosophe
Nicolas Nassim Taleb.
Vous dites « La colère est une émotion qui annule la pensée ». Comment rendre sa clairvoyance au peuple ?
De même, que les journalistes ont trop repris en 2013 le mot 'Colère' qu'ils ont emprunté sans distance aux manifs diverses et variées. Or, la colère n'est pas une opinion politique. Lui donner ce statut, c'est donner raison au populisme. Ca ne veut pas dire que dans bien des cas la colère n'est pas légitime, mais précisément elle doit trouver les mots pour se raconter et se préciser. C'est l'un des taches, très importante, du journaliste s'il veut exercer son 4ème pouvoir, c'est-à-dire, être une force contre d'éventuels abus des élus politiques ou des juges ou des gouvernants au pouvoir.
Le pessimisme est une marque française. Pouvons-nous changer ?
Nous pouvons lutter contre le pessimisme abusif qui est très français. L'une des manières est de mieux mettre en valeur des réussites en particulier économique comme dans la net économie, le jeu, le luxe, le tourisme... Ce n'est pas nul. Il faut oublier la grandeur passée. Les années Louis XIV et grands travaux comme les années De Gaulle ou Pompidou, glorieuses et pas encore ouvertes sur l'Europe et le monde...
Aujourd'hui, la France peut être 'grande' en acceptant d'être petite sur Google Earth...
Yasmina jaafar