Intense, fragile, la voix forte, le verbe haut, l'immense Jean Piat nous convie à Nohan dans l'intimité de George Sand. Un petit air de campagne. Jean Piat est charismatique sans jamais tomber dans une pédagogie morne et triste. Avec lui, l'Histoire devient belle, les anecdotes sulfureuses ou amoureuses ou cruelles deviennent les nôtres. Farouchement d'époque, les amours et rêveries de Lamartine, Hugo, Musset, Delacroix, Flaubert ou Gauthier, Schumann, Schubert, Liszt ou Chopin nous indiquent à quel point le 19ème siècle reste à nos portes.
Il est de bon ton d'être passionné en ces temps. En 1838, Chopin joue avec une virtuosité franche son amour pour l'icône Sand et Franz Litz dit à Marie d’Agoult : "Je ne veux ni croire ni douter. Je veux mourir !". Piat ironise : "On meurt beaucoup dans la correspondance de 1838, je vous le signale."
L'auteur tente d'expliquer la Musique... les motivations de création grâce aux intermèdes du pianiste Pascal Amoyel. Deleuze dirait, pourtant, que toute tentative d'explication est vaine. Cela dit, Jean Piat parvient, juché sur un talent épatant, à nous promener surtout grâce au formidable poème de Musset dicté tel un slam sur la musique de Chopin. L'issue du spectacle est vertigineuse :
Mais vous ne saurez rien. - Je viens, sans rien en dire,
M’asseoir sous votre lampe et causer avec vous ;
Votre voix, je l’entends ; votre air, je le respire ;
Et vous pouvez douter, deviner et sourire,
Vos yeux ne verront pas de quoi m’être moins doux.
Je récolte en secret des fleurs mystérieuses :
Le soir, derrière vous, j’écoute au piano
Chanter sur le clavier vos mains harmonieuses,
Et, dans les tourbillons de nos valses joyeuses,
Je vous sens, dans mes bras, plier comme un roseau.
La nuit, quand de si loin le monde nous sépare,
Quand je rentre chez moi pour tirer mes verrous,
De mille souvenirs en jaloux je m’empare ;
Et là, seul devant Dieu, plein d’une joie avare,
J’ouvre, comme un trésor, mon cœur tout plein de vous.
J’aime, et je sais répondre avec indifférence ;
J’aime, et rien ne le dit ; j’aime, et seul je le sais ;
Et mon secret m’est cher, et chère ma souffrance ;
Et j’ai fait le serment d’aimer sans espérance,
Mais non pas sans bonheur ; - je vous vois, c’est assez.
Non, je n’étais pas né pour ce bonheur suprême,
De mourir dans vos bras et de vivre à vos pieds.
Tout me le prouve, hélas ! jusqu’à ma douleur même…
Si je vous le disais pourtant, que je vous aime,
Qui sait, brune aux yeux bleus, ce que vous en diriez ?"
Alfred de Musset à Ninon...
Plus de mots.
Yasmina Jaafar
Adaptation texte : Jean PIAT, Mise en musique : Pascal AMOYEL