Ca a été une expérience enrichissante. Ce concours demandait une démarche intellectuelle qui nous a permis de comprendre énormément de choses. Il y avait toute une partie de l'Histoire qu'on ne connaissait pas vraiment. On a pris conscience des conditions de vie de ces enfants dans les camps et cet apprentissage a été très important pour nous tous.
L'identification s'est faite rapidement. Je ne vous cache pas que c'était un peu perturbant. Malgré nos différences de culture, de génération et d'origine pour certains, nous nous sommes tout de même identifiés à eux. Elle était encore plus forte lors de notre rencontre avec le déporté Mr Léon Zyguel. Nous avions tous entre 15 et 16 ans le jour où il est venu nous donner son témoignage et il avait 15 ans quand il a été raflé, donc au moment où on se plaignait contre 3 heures de plus par semaines pour préparer le concours, on a vite compris que nous avions de la chance d'être libre, en France, dans un lycée où tout se passe bien et où l'enseignement est gratuit. on nous propose d'en savoir plus au travers d'un concours, on a pas le droit de se plaindre. Il y a quelques années de cela, ces jeunes là auraient sauté sur l'occasion pour s'ouvrir à d'autres voies. C'est ce qui nous a permis de tenir.
Je n'aime pas dire que mon cas est un cas particulier. Si on répète que mon histoire et ce professeur sortent d'un conte de fée et un cas rare, les jeunes qui le verront se diront "en effet, tant de ferveur de la part d'un prof n'existe pas. On ne se sent pas concerné par cette fable". Je préfère penser que mon histoire peut inspirer et être vécue par tous. J'aimerais vraiment que ceux qui verront ce film se disent "Ben si Ahmed Dramé l'a fait avec sa classe pourtant pas fameuse, nous aussi on peut l'imaginer". Anne Anglès n'est pas une exception. Ca existe ailleurs. L'école de la république c'est aussi cet exemple là. Il est clair qu'il y a des problèmes et des inégalités mais si on mettait l'accent davantage sur le positif, on penserait différemment. On prendrait confiance en nous.
Depuis aussi longtemps que j'aime Denzel Washington, Will Smith, Matthew McConaughey et Idriss Elba, j'aime le cinéma. Mais pour moi, ça me paraissait quand même très loin voire inaccessible. Et j'ai eu la chance formidable d'avoir été casté pour le film "Les petits princes" avec Eddy Mitchell. J'ai obtenu l'un des premiers rôles. Ce baptême avec répétitions dans les appartements d'Eddy et un tas de choses assez inhabituelles pour moi, m'a permis de me rendre compte que c'était aussi possible pour un gars comme moi. Et c'est à cet instant que j'ai envoyé mon scénario à toutes les boîtes de production de Paris. J'ai eu beaucoup de réponses négatives jusqu'à ma rencontre avec Marie-Castille Mention-Shaar. Elle a vu tout de suite qu'il y avait quelque chose dans cette histoire. A la base, je ne parlais pas du concours mais j'avais inventé un concours de slam. Je ne me sentais pas de parler des enfants de la déportation ne connaissant pas très bien le sujet. Je me disais que si je m'attaquais à ce thème, je devais en être à la hauteur. Mais Marie-Castille m'a dit "Ecoute, ça me touche vraiment qu'un jeune garçon qui vient de loin ose m'envoyer une histoire telle que celle-ci. Il faut l'exploiter et la raconter. Je peux t'aider". J'ai accepté parce que je ne pouvais pas le faire seul. Il faut admettre quand on ne peut pas et on a tout réécrit ensemble pour faire en sorte que cette histoire ne soit pas oubliée. Je venais surtout pour avoir des conseils et me voilà embarqué dans une aventure folle.
C'était vertigineux. J'étais en pleine année de terminal avec le Bac au bout et je venais de signer pour "Les petits princes". J'avais aussi dans un coin de ma tête "Les Héritiers"... Il fallait que je mène tout de front sans rien lâcher. Si tu penses mal dans ta tête, tu décroches tout. J'en ai parlé à mon proviseur qui me certifiait que c'était une grande chance à ne pas louper. On a fait une demande de dérogation au rectorat pour différer mon passage au Bac. Aucun élève de la classe était au courant. Je ne voulais pas perturber ni être perturbé. J'ai passé l'examen après. Je suis parti tourner sans avoir la réponse du rectorat. J'ai pris le risque mais tout c'est bien passé. J'étais tellement motivé : comment parlé de ce sujet au cinéma en ayant loupé son Bac ?
"L'enquête" de Nicolas Boukhrief. Pour moi, c'est particulier parce qu'il y a 10 ans, j'ai découvert "Le convoyeur" avec Albert Dupontel et Jean Dujardin. Je suis tombé en admiration devant son travail loin de m'imaginer qu'un jour je ferai parti de son casting. J'avais 11 ans et la réalisation m'avait bousculé. Je l'ai vu en cachette parce que ma mère ne voulait pas que je regarde un film pour grand de plus de 12 ans. Pour quelques mois, je ne me suis pas gêné. Je me suis retrouvé à discuter toute une après midi avec Nicolas. C'est complètement dingue. Je suis ravi !
J'y pense ! Je ne sais encore si je vais réaliser mon prochain scénario. Je n'ai pas envie de me bruler les ailes donc j'y vais petit à petit. Le plus important est de durer. Je souhaite tout au long de mon chemin proposer un travail de qualité. "Les héritiers" est mon premier scénario. Il semble bien accueilli. Je dois continuer dans cette veine.
Le savoir et le vivre ensemble sont des notions très importantes pour moi. Je viens du Mali et je suis aussi un enfant de la République. Mon travail doit transpirer ces pensées-là.
Yasmina Jaafar