Je commence toujours en disant : "J’accepte d’être discriminée sur mon talent, j’accepte d’être discriminée sur mes recettes et sur mon audimat, mais je refuse d’être discriminée sur mon sexe". Il se trouve que mon film "La Balade de Lucie" Avec Sandrine Bonnaire pour France 2 a fait 4 millions de spectateurs en 2013 et ...... le 4 février dernier. Quand on parle de la place des femmes dans la société, nombre sont ceux qui détournent la tête. Alors, il faut parler chiffre. Et là -comme je l’ai été moi-même- tout le monde est stupéfait.
Les chiffres de la place des femmes dans la création audiovisuelle sont :
3% de réalisatrices pour des films de commande
7,4% de réalisatrices pour les séries
16% de réalisatrices auteures (celles qui comme moi écrivent leurs scénarios)
23% au cinéma, avec des budgets bien inférieurs.
Alors quand on entend qu’il n’y en a que pour les femmes, faut relativiser ! Il suffit d’inverser les chiffres : 97% d’hommes !? Arte est la chaîne qui a la conduite la plus égalitaire, 29% ! Mais c’est grâce à la volonté politique de Véronique Cayla. Sans volonté rien ne change. Seule la Suède a 40% de réalisatrices par quota. Quand 60% des élèves diplômés des grandes écoles de cinéma sont des femmes, où passent-elles ?
C’est un réel progrès, des efforts commencent à se ressentir, mais ce n’est pas suffisant. Oserons-nous espérer 30% bientôt ? Avant c’était l’omerta, maintenant on ose en parler, soulever la question. Bien, mais à quand le changement ? Nous vivons dans un pays à culture patriarcale, « c’est normal » pense beaucoup… Il m’a quand même été opposé, que si les femmes réalisatrices travaillaient peu, « c’est peut-être parce qu’elles avaient moins de talent ! ». Quand j’ai souligné que les trois femmes sélectionnées au Festival de la Rochelle avaient toutes été primées, ce qui se traduit par 100% de réussite, on m’a demandé de baisser le ton. Mais c’est la volonté politique de Najat Vallaud Belkacem à faire voter en Août 2014, la loi sur l’égalité des hommes et des femmes dans tous les domaines, qui va permettre une formidable avancée.
En actant ! Le pouvoir politique, doit faire son travail. Maintenant c’est la loi, il n'y a qu’à l’appliquer. Sophie Deschamps et Pascal Rogard de la SACD, ont une action offensive et constante sur le sujet auprès des instances. Leur soutien est indéfectible à la cause. Mais il reste beaucoup à obtenir. La résistance passive est énorme. Pour ma part, je milite bénévolement depuis deux ans, et soit j’en fais un métier, soit je me recentre sur ma création. Mon métier c’est de raconter des histoires ! Ma conscience politique me demande de proposer (aussi) des sujets qui vont vers une meilleure image de la femme dans la société, avec les mêmes droits et les mêmes chances, les mêmes faiblesses…
Sylvie Pierre-Brossolette fait un formidable travail. J’ose dire que c’est sa nature de penser que nous sommes l’égale de l’homme ! C’est une femme progressiste qui sait que la société ne change que par la volonté et l’engagement. Nous ne la remercierons jamais assez. La création, l’image de la femme qu’on véhicule à l’écran a un incroyable impact dans les familles. La télévision rentre dans tous les foyers et 56% sont des spectatrices ! Nous devons avoir une conscience de notre responsabilité de créateur, de producteur, de diffuseur. Quelle image voulons-nous transmettre à nos enfants ? Quel avenir voulons-nous pour nos filles ? Pour nos fils ? Parce que les stéréotypes, c’est un calvaire pour les deux sexes : que ce soit « Soit fort et pleure pas » ou « Sois belle et tais-toi » quelle est la pire injonction ?
Sans doute. Je ne connais pas de vie « toute simple », ça n’existe pas… et ça ne fait pas de cinéma. L’âme humaine, les sentiments, les émotions, sont ce qui réunit les êtres entre eux. C’est le lien social, le lien culturel, la possibilité de partage, d’échange, de solidarité. Quelque soit son milieu, sa couleur où sa religion, l’humanité traverse souvent les mêmes angoisses, les mêmes défis ! L’être a besoin d’histoire pour se construire, de figures majeures auxquelles s’identifier pour s’épanouir. Si nous peuplons l’imaginaire des jeunes garçons par des clichés pétris de virilité guerrière qui leur permet de se « valoriser » à travers la domination masculine, et que nous proposons aux filles une « respectabilité » en tant qu’épouses ou mères, et seulement cela, alors nous partons en arrière. Les femmes n’ont-elles plus le droit de se projeter ? Se voir en chef d’entreprise ou en premier ministre ? En danseuse, ou en chef d’orchestre ? On ne doit plus se voiler la face, notre société à reculée. Les femmes en stoppant le combat pour leurs droits, ont leur part de responsabilité. La laïcité se doit de proposer des images valorisantes, responsables, actives des individus, dans le respect de l’égalité et contre le sexisme. La culture est une arme contre l’intégrisme quel qu’il soit. Il faut juste un peu de courage ! Notre télévision, la culture française recule, est-ce acceptable ? Tous les pays d’Europe prennent des risques, et leurs séries font le tour du monde ! Pourquoi pas nous ?
J’ai envie de vous demander si la question est : « Quand la peur devient censure ? » Si les temps sont difficiles, la peur est aussi mauvaise conseillère pour les uns que pour les autres, pour les créateurs autant que pour les financiers. Parce que c’est à la fin, toujours le public qui tranche. La moindre des choses c’est de se poser la question de ce qu’on véhicule à travers son propos. Sinon faut travailler chez Danone. Or, quasi chaque fois qu’un film fort sur un sujet féminin est diffusé, il cartonne. A l’heure de l’audimat, c’est une réponse !J’avoue que je fais un métier difficile, quelque soit le sexe. Mais il m’arrive qu’à travers mes sujets féministes, on m’oppose des refus au prétexte de : « Scandaleux » quand une femme aime un homme plus jeune qu’elle, « d’ambitieux » quand une mère part chercher ses enfants kidnappés aux confins du monde, de « sujet sensible » pour la biologie génétique, ou « d’anxiogène » pour parler de la pauvreté… Alors si nous ne pouvons parler ni de sujets féministes, ni d’aucune religion, ni des « gens en difficulté sociale », que nous reste t-il ?
Pour que la journée de la femme ait une valeur, l’état doit prendre ses responsabilités et imposer la loi de l’égalité partout dans la société, sinon c’est un gadget. Nous n’avons plus de Ministère des droits des femmes, est-ce parce que les problèmes sont réglés ? Sommes-nous enfin parvenus à l’égalité ? Non. Il faut éduquer, briser les idées reçues, les stéréotypes misogynes, le sexisme ordinaire. La société, les hommes comme les femmes, ont tout à gagner du respect mutuel. De la complémentarité vient l’équilibre. Et l’équilibre sociétal semble sérieusement chahuté ces derniers temps… Alors, ne pourrions-nous pas essayer une nouvelle recette !?
Féministe ne veut pas dire misandre ! Je préfère préciser… Ce combat m’a été proposé par mon organisation de réalisateurs, le Groupe 25 Images, qui souhaitait l’équité dans notre profession. Beaucoup d’hommes sont à nos côtés, aiment travailler avec des femmes, militent pour elles et je les remercie de leur confiance. J’ai la chance de travailler avec de grands producteurs et productrices féministes, avec qui je m’amuse beaucoup et pour qui c’est juste l’évidence ! J’aime autant travailler avec des hommes qu’avec des femmes, dans le respect dû à chacun. C’est enrichissant et souvent chargé d’humour. Mon producteur me dit parfois pour me taquiner, « Mince, j’ai pas mis ma perruque ». Et moi, j’adore rire ! Seuls ceux pour qui c’est anormal de travailler avec des femmes ont un problème à régler, pas l’inverse.
"La femme reste un adjectif qualificatif dans une phrase où l’homme joue le verbe". Bien sûr, on peut se dire que tant que le film est bon qu’est-ce qu’on en a à foutre que ce soient les femmes ou les hommes qui s’expriment dans le plan. Ça n’aurait aucune importance si et seulement si il n’y avait pas systématisme. Parce qu’il y a systématisme, il y a propagande. Et parce qu’il y a propagande, nous devons garder un oeil critique sur les films que nous regardons. » Virginie Despenste.
Yasmina Jaafar
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