En 2011, Rémy Pflimlin propose de créer cette section RSE. La première chose que j'ai faite est surtout de réfléchir sur la question de "responsabilité". C'est à dire : qu'est-ce que veut dire ce mot ? Ainsi, vous vous rendez compte très vite que vous avez une double responsabilité du service public. On a bien entendu une responsabilité d'entreprise puisque l'on est un collectif de 10 000 personnes, et il faut que l'on s'interroge en terme d'ouverture, d'environnement, du respect des autres et de diversité. Puis sur les sujets sociétaux, on veut savoir où on en est sur les questions de la représentation de cette diversité par exemple. Ce qui nous différencie de toutes les autres entreprises -désormais obligées de se soumettre aux mêmes règles sous peine d'amendes-, c'est que nous sommes un énorme média. Nous devons penser à ce que nous donnons à voir et ce que nous construisons. Ainsi, les mêmes questions s'imposent : quelles sont les représentations de la société ? Comment aborde-t-on la présentation de ces changements ?
Cette réflexion vaut pour tous les genres de programmes : fictions, documentaires, flux, info ou jeunesses... France Télévisons est de loin le premier diffuseur et le premier co-producteur. Il faut donc travailler avec les producteurs et leur syndicat. J'ai tenté de structurer ce pôle et de proposer une politique globale. Une politique qui marche sur ses deux pieds. Si nous prenons l'exemple des femmes, il faut qu'il y ait une cohérence entre ce qu'on a à faire en interne et visible sur nos antennes. Développer la place des femmes, faire en sorte qu'elles aient une juste représentation de ce qu'elles sont, est un moteur pour faire bouger l'interne car inversement si ça bouge en interne à FTV, ça influe sur l'externe.
L'idée est de créer des espaces pour tous. Et oui, il y a un mieux. Les femmes sont des réalisatrices, des comédiennes mais aussi des expertes. Les plateaux voient un certain nombre d'experts et les femmes en font parties désormais. Leur absence posait un vrai problème car un expert est celui qui représente le savoir et la transmission. Et l'extraordinaire majorité masculine dans cet espace, de manière absolument inconsciente, continue à véhiculer l'idée que ceux qui nous délivrent ce message ce sont des hommes. "C'est dans l'air" est un exemple édifiant. Depuis les débuts, je pose mes vues au producteur Jérôme Bellay. C'est l'émission de l'expertise par excellence. Il fallait donc imposer un objectif chiffré et l'inscrire dans le contrat d'objectifs et de moyens.
Il reste beaucoup de chose à faire ! J'ai compris que si vous relâchez la pression, les mauvaises habitudes reviennent vite. Jérôme Bellay est un homme intelligent et il a obtempéré. La demande du client étant ce qu'elle est... Les chiffres ont été en augmentation, systématiquement on avait 1 femme sur 4 et un parfois 2/2. Les progrès au milieu de l'année 2014 étaient encourageants. Mais en 2015, je fais les bilans et j'ai vu que ça se relâchait un peu. J'ai mis 1 heure avant d'obtenir les chiffres de France 5 pris la main dans le sac. Nous ne sommes qu'à 26% alors que l'objectif est de 30 ! Donc il faut rester vigilant. Les trois dernières années on a vu des avancées. C'est vrai pour les femmes, les fictions bougent beaucoup et innovent en n'oubliant pas de représenter la société. Je reconnais que les visages des animateurs/trices du groupe sont inchangés. Je tire les signaux d'alarme en permanence. Je pense que l'on va y arriver petit à petit.
Handicapés, jamais ! De couleur très rarement. Les producteurs de flux ont d'abord envie d'obtenir leur case. Ils savent qu'ils auront plus de chance avec quelque chose de connu. Ils vont aller chercher la vedette du moment. Je n'ai rien contre Alessandra Subblet mais c'est le syndrome Alessandra. La responsabilité est absolument partagée. Ca n'est pas une question de barrage des uns ou des autres. C'est une question de structure de ce milieu qui a peur de bouger, car bouger c'est prendre le risque de ne plus avoir le même succès. L'audience décide de tout.
En effet, à France Télévisions, la priorité ne devrait pas être celle-là. Et depuis l'arrêt de la publicité avant 20h, rien n'a changé sur la focalisation des audiences. Je sais que je me fais tondre en place publique si je dis cela mais c'est pas grave. Rien n'a changé parce que le mode de fonctionnement des dirigeants est comme ça. On navigue dans un espace clos où vous avez la télé publique et privée ; la seule chose qui importe c'est leur position dans cet espace-là. Donc quelque soit le discours, l'obsession de FTV est de supplanter Tf1 et M6. C'est la limite pour une politique pérenne. La politique de la diversité est une politique d'ouverture aux autres, au monde, au changement et à l'évolution mais les verrous sont mis en place. Oui, il y a la volonté de faire puis la société nous y pousse... mais si cela n'est pas inscrit dans une politique vraie de la gouvernance de FTV et si au-delà du discours, cette gouvernance ne va pas voir où on en est de la mise en pratique et de l'application, ça va être difficile.
Je suis assez optimiste. C'est une vision assez partagée au sein du service public. Tous les sujets dont je m'occupe sont identitaires et au cœur de cette mission. Je pense que l'avenir de la fiction -qui passe par TFV, car on est de très loin le plus gros producteur de fictions françaises- oblige une conception très service public dans son rôle de créateur des représentations. Après il ne faut pas que ça se voit, il faut être subtile et les réalisateurs y mettent tout leur talent. Les deux moteurs sont l'info et la fiction. Si on ne s'y attèle pas, et en considérant la victoire du libéralisme dans le monde, c'est la fin de la redevance. On n'aura plus aucune légitimité à exister.
Et ça donne 10 femmes présentes... Certains diront "Oui mais avant, il y en avait 3". La véritable avancée sur les départementales, c'est l'imposition de la parité et l'apparition de binômes mixtes, hors, mine de rien, ça va renouveler considérablement le personnel politique. Nous savons que les carrières politiques commencent là. Il va y avoir un vivier de femmes qui vont démarrer leur apprentissage de l'administration de la cité sur le terrain. Elles auront envie d'aller vers la gestion des mairies, des régions, et d'aller plus loin. Alors oui, c'est encore symptomatique du plafond de verre, mais c'est positif.
Yasmina Jaafar