La tragédie de janvier, elle, ne devra pas être oubliée. C'est le message que lancent nos lecteurs dans leurs courriers. Ce livre n'est ni un récit, ni un reportage, ni un essai. C'est une chronique. La chronique d'un séisme qui a fait 17 morts – et des millions de blessés, à commencer par les musulmans eux-mêmes, comme l'écrit métaphoriquement une lectrice.
Mon regard n'a guère d'importance. Je ne suis pas un penseur, je ne suis qu'un passeur. C'est mon job de médiateur autant que de journaliste. Cela dit, les "mots du peuple" comme vous dites, sont parfois très forts, d'où l'intérêt de les écouter. D'autant qu'ils sont souvent bien choisis, ces mots, lorsqu'ils dénoncent, par exemple, "la vaine dispute de la fierté gauloise contre la superstition musulmane" (page 53). Ou qu'ils disent l'inquiétude de voir le soufflé retomber et la lancinante question de l'islam revenir à la case départ, celle des non-dits : "il n’y a pas de racisme anti-musulman à poser clairement les règles du jeu du vivre ensemble", "ce n'est pas faire d'amalgame que de dire qu'il existe un terrorisme islamique", comme disent les lecteurs.
Définitivement, peut-être pas. Tout dépend de la façon dont sera pris en compte et traité le"syndrome post-traumatique". C'est l'avertissement que lancent nos lecteurs aux politiques. Citons-en encore un : "Mesdames et messieurs les élu(e)s, on compte sur vous. C'est pour ça qu'on a manifesté" (page 71)
Rarement. Ou alors une colère contenue, qui traduit une forme d'impatience, d'agacement quant à la suite qui sera donnée à ces événements. Comme le dit un avocat libanais (page 36) : "face à cette barbarie, aucun compromis, le débat plutôt que le tabou ou la violence". C'est ça le grand message de ces courriers d'anonymes : ne pas renvoyer l'islam et la République dos à dos, mais les mettre enfin autour d'une table. Ce que salue Patrick Pelloux dans la postface qu'il a accepté de signer.
Oui et non. Lorsque 4 millions de personnes descendent dans la rue, le 11 janvier 2015, on ne peut pas ne pas penser au traumatisme que fut le 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. Nos deux pays ont été touchés au cœur, dans leur chair. Même si les deux événements ne sont guère comparables, ne serait-ce que par la magnitude du séisme. L'autre point de comparaison est la part d'ombre de l'après-11 septembre (l'invasion de l'Irak, Guantanamo...) que veulent à tout prix éviter nos lecteurs.
C'est le fil rouge de ce livre. Ecouter les anonymes. Et surtout les entendre. Certains font des suggestions très concrètes. En matière de réforme de l'éducation civique, par exemple. Ou d'une remise à jour de la laïcité, pour la rendre moins "ignorante" et plus "tolérante" (page 136". Avis à ceux qui pensent à 2017 en se rasant...
Les deux. Danger de voir resurgir le karcher. Ou opportunité de faire enfin avancer ce fameux et introuvable " Islam de France" que tout le monde appelle de ses vœux sans trop savoir comment le définir. Le débat ne fait que commencer au sein même des "Républicains"... La petite musique de nombre de nos lecteurs est de sortir par le haut de l'après-Charlie. Ils sont restés très circonspects sur l'unité nationale décrétée par François hollande le 11 janvier ; la plupart n'y a vu que récupération politicienne...
Chacun doit se poser la question. L'onde de choc de janvier ne laisse personne indifférent. Il y a eu un avant, il y aura un après. C'est ce que dit ce livre. Cela étant, le pessimisme actif est parfois plus constructif que l'optimisme à tout crin...
Etre ou ne pas être Charlie, question shakespearienne... La réponse du 11 janvier se voulait résolument voltairienne. Pas si simple, reconnaissent les lecteurs, assez partagés sur le sens de ce #JesuisCharlie. Ce livre se propose, en toute modestie, d'aider chacun à affiner sa propre réflexion. Avis aux élus et candidats de tout obédience...
Yasmina Jaafar