Dans l’édition datée du 1er mars du journal Le Monde, nous avons appris qu’une nouvelle personnalité venait d’être rattrapée « par d’anciens tweets antisémites et négationnistes »[1]. Cette nouvelle « affaire » s’ajoute à ces propos infamants exhumés des comptes Twitter de deux autres coqueluches des médias : le journaliste et écrivain Mehdi Meklat et l’actrice récemment primée aux Césars Oulaya Amamra. Si le premier revendique la posture du double artistique et provocateur, ce Marcelin Deschamps créé afin d’incarner les relents antisémites, homophobes et misogynes d’une société marquée par les clivages identitaires comme la violence des « gazouillis » partagés sur le célèbre réseau social, la seconde reconnaît des erreurs de jeunesse. Quant au comédien, l’article le dit terrassé par le remords de propos émis alors qu’il était proche de Dieudonné.
Dans les trois cas, les susdits « gazouillis » ont cédé la place à des aboiements haineux. Dans les trois cas, l’inconscience passée vient ternir un présent illuminé par le succès. Dans les trois cas, le jeu se fait obscène. L’ancien chroniqueur du Bondy Blog « joua » en effet à élaborer un double virtuel, une ombre pour exprimer l’inexprimable et plonger dans les affres d’une société qui édicte pourtant la bienveillance en dogme sociétal. Jusqu’au moment où la créature finit par échapper au créateur. De son côté, l’héroïne de Divines voit ses propos homophobes et racistes comme des « bêtises » d’une jeune de 14 ans. Une jeunesse qui s’amuse de l’ignoble, du souffre et du rejet de l’autre. Une « bêtise », autrement dit un faux-pas sans conséquence, sans réelle portée, pas si grave que cela, un écart. Quant à l’humoriste Olivier Sauton, s’il multiplie les excuses depuis l’exhumation de ses « blagues » antisémites et négationnistes, ces dernières témoignent d’un humour sans cesse à la recherche de la provocation, du « bon-mot » (sic) et d’un désir d’aller toujours plus loin dans le mauvais goût et dans l’acceptable ou l’entendable.
Chez tous se retrouve également les limites de cette extimité chère à Serge Tisseron[2]. Si nous savions garder autrefois nos pensées « pour nous », si on nous apprenait qu’il fallait tourner sept fois notre langue dans notre bouche avant de parler, s’il nous était indispensable de cultiver un jardin secret et si nous avions tous des ressentis que nous savions « inavouables » pour de multiples raisons, la génération Twitter les livre désormais sans filtre en une multitude de tweets frénétiques. Ils incarnent en cela le règne de la pulsion textuelle qui les pousse à garder de moins en moins d’avis pour eux mais se sentent obligés de les partager sur les réseaux sociaux. Le Smartphone devient alors cet « objet-sas » par lequel s’écoule à présent directement et sans filtre leurs pensées, commentaires et coups de gueule. Et si la psychologue et anthropologue américaine Sherry Turkle[3] diagnostique dans cette communication écranisée une perte croissante d’empathie – un écran ne pleure pas, n’agresse pas, ne nous renvoie jamais à nos fautes – twitter se révèle le média de cette distanciation à cet autre comme à nous-mêmes. Si je peux tout tweeter, si mes propos immondes trouveront toujours des followers complaisants et si dans un même temps personne ne viendra sonner à ma porte pour m’agresser physiquement pour mes injures qui ne sont « que » numériques, alors je me distancie de moi-même en ce que je cesse d’être mon propre garde-fou. Tout devient dès lors acceptable, et plus rien n’est réellement grave puisque cette vitre de mon mobile restera imperturbablement lisse et froide, quoi que j’y « tape ».
Du moins le pensait-on.
Bertrand Naivin