Finalement, France 2 s’est vue contrainte d’abandonner son projet d’organiser ce 20 avril un deuxième débat réunissant les onze candidats à l’élection présidentielle française. Deux raisons principales à cela. La première est le risque que représenterait une telle confrontation si tard dans la campagne. Se plaçant la veille de la « période de réserve » où les candidats n’auront plus le droit de répliquer aux potentielles insinuations, sous-entendus ou « attaques » d’un adversaire inspiré, cette « rencontre » aurait pu nuire à une campagne déjà polluée par une accumulation inédite d’ « affaires » concernant les impétrants à la fonction suprême qui n’en finit pas de perdre chaque jour qui passe de sa superbe ;
par une déréliction de cette fidélité partisane qui faisait que le vote politique signait autrefois une appartenance à un groupe familial, culturel ou social – il n’est aujourd’hui qu’un acte individuel et consumériste comme un autre - ; mais aussi par des « personnalités » politiques qui ne font plus rêver mais qui au contraire ne cessent de s’enliser dans l’abjecte ou le dérisoire quand ils ne tentent pas de gonfler leur absence de poids politique par la gros-sièreté et le coup médiatique.
On s’en doute, cette crainte est en partie alimentée par cette nouvelle ère politique de la « post-truth » actuelle. Mot de l’année 2016, ce terme a pu désigner notamment la campagne présidentielle américaine de l’an passé qui a vu l’élection surprise d’un Donald Trump après qu’il ait multiplié sans vergogne les accusations sans fondement portées à l’encontre de son adversaire Hilary Clinton et de Barack Obama. La « post-truth » est alors cette parole politique qui relayée par les réseaux sociaux et l’ « actualisme » des nouveaux médias d’information en continu, moins scrupuleux quant à la vérification des faits et des annonces proférées par une classe politique qui sait qu’elle ne restera audible et visible dans cette société de l’hyperconnection et de l’hyperimagisme qu’en créant un choc médiatique, fut-il une rumeur totalement fausse.
Dans un tel contexte, confronter des candidats bien conscients de l’évanescence et de l’obsolescence (voir le précédent article du 8 avril) qui les menace – et que rend perceptibles entre autres signes la « pléthorisation » de l’ « offre » politique qui fait que nous allons aujourd’hui plus que jamais au bureau de vote comme nous allons faire nos courses au supermarché mais aussi, et c’est lié, cette cosmétisation évidente de ce produit politique que sont devenus ces « #candidatspolitiques » (voir mon précédent article sur le meeting holographique de Jean-Luc Mélenchon paru sur www.laruchemedia.com et mon analyse portant sur « L’homme politique à l’heure du Smartphone » consultable sur le site de la revue Esprit).
À cette première explication s’ajoute le refus exprimé par certains candidats de participer à un tel débat. Et il est vrai que si il permet aux « petit » d’obtenir une visibilité légitime, les réunir tous aux côtés des « grands » a pu nuire le 4 avril dernier à l’audibilité de leur programme. De ce rendez-vous ne furent ainsi finalement retenues parce qu’elles firent le « buzz » que la tenue non protocolaire et les salves verbales du candidat NPA.
On ne peut alors que saluer l’idée de France 2 de vouloir remplacer cette cacophonie politicienne par une série d’entretiens de quinze minutes animés par les journalistes Léa Salamé et David Pujadas. Gageons qu’ainsi, ces acteurs que sont devenues ces faces politiques – écraniques, plastiques et caricaturales – puissent prendre le temps de dévoiler toute la densité de leur « personnage ». Alors, Tragédie ou Boulevard, cette pièce jouée avec beaucoup d’éclats mais sans brio pourra peut-être gagner en clarté quant au « profil » de ses protagonistes en mal de présence. C’est en tout cas tout le mal que nous pouvons nous souhaiter.
Quoi qu’il en soit, les médias ne sont plus simplement des moyens de médiatiser la parole politique. Ils l’orchestrent et la mettent en scène quand les journalistes deviennent eux-mêmes modérateurs et initiateurs du dire politique. Traditionnels ou 2.0, ce sont eux qui continuent de faire les tendances – en créant paradoxalement une logique systémique contre laquelle se positionnent de plus en plus d’électeurs et de politiciens -, par eux que se donnent à voir et à entendre ces politiques – des débats, reportages et interviews aux tweets et meetings diffusés via Facebook - et à eux qu’ils s’adressent. Sur ce dernier point, qu’il réponde à un(e) journaliste ou qu’il publie un message sur Twitter, le politicien ne voit plus que l’ « appareil » - médiatique, numérique ou technologique - qui devient son ultime horizon et oublie la réalité de ce peuple qu’il se propose pourtant de gouverner. Une abstraction de notre réalité qui fait que le grand absent du dernier débat du 4 avril et de l’actuelle pantomime politico-politicienne n’est peut-être au final autre que nous qui suivons sans passion chaque épisode de cette nouvelle série derrière la vitre de notre écran.
Dès lors, des politiciens aux électeurs, ce « Dexit » était inévitable et ne peut que nous rendre circonspects quant à la prochaine « saison » électorale prévue pour 2022…
Photos : AFP
Bertrand Naivin