Vendredi 20 octobre, la chaîne TCM cinéma rediffuse le chef d'œuvre du cinéaste américain John Carpenter Le Village des damnés réalisé en 1995. Remake d’une version anglaise réalisée en 1960 par Wolf Rilla, elle-même adaptation filmique d’un roman de John Wyndham (Les Coucous de Midwich), ce film raconte l'histoire d’un village américain dont les habitants tombent soudain dans un profond sommeil durant plusieurs heures. Toutes les femmes de cette petite communauté donneront ensuite mystérieusement naissance à des enfants très spéciaux. Tous semblablement blonds aux yeux bleus, et tous dépourvus de la moindre sensibilité et doués de télépathie.
À sa sortie, on put alors interpréter ce film comme une évocation des politiques eugénistes mises en place aux États Unis et en Allemagne dans la première moitié du XXeme siècle.
Mais ce long-métrage se révèle aujourd’hui également d’une étonnante et improbable actualité. Ces clones juvéniles font en effet étrangement penser aux jeunes de nos sociétés 2.0. Comme eux, ils sont accros au conformisme.
Comme eux également, ils souffrent d'un manque d’empathie qui selon la chercheuse et professeur d'études sociales Sherry Turkle est le fait d'une communication qui se fait à présent pour certains adolescents exclusivement par MMS, mail ou réseaux sociaux. L’autre est alors remplacé par un écran qui a pour effet de déshumaniser et de rendre abstrait leur interlocuteur. Celui-ci n’est alors plus qu'une image ou des lignes de mots et de signes, et perd cette humanité que Levinas reconnaissait au visage qui s’offre à nous dans toute sa nudité.
De même les enfants issus de la génération Z sont-ils eux aussi devenus télépathes grâce à ces smartphones qui leur permettent d'échanger à longueur de temps à distance, et de partager avec leur réseau leurs moindre faits et gestes instantanément.
Les géniteurs extra-terrestres de Carpenter sont alors remplacés par ce monstre qu’est devenu Internet en s’infiltrant dans chaque pan de notre tech-sistence, en présidant à nos actions les plus quotidiennes et en rendant toujours plus floue la traditionnelle frontière séparant réalité et virtualité, sapant ainsi tous nos repères spatiaux et temporels.
Dès lors, Le Village des damnés semble aujourd’hui céder la place à un Village global des damnés 2.0. Une déclinaison dont nous sommes les personnages incrédules.
Bertrand Naivin