La série d’attentats meurtriers menée par les terroristes à Kaboul en Afghanistan sur la fin de ce mois de janvier a semé la terreur et la désolation. Commencée par une offensive meurtrière à l'hôtel Intercontinental perpétrée par les talibans, elle a aussitôt été suivie par une attaque dans les locaux de Save the Children à Jalalabad par le groupe État islamique, pour se terminer ce samedi par un attentat à la voiture piégée dans l’un des quartiers les plus animés de la capitale afghane. Ce dernier attentat qui a fait 195 morts et une centaine de blessés a été revendiqué sur WhatsApp par le porte parole des talibans Zabihullah Mujahod : «Un martyr a fait sauter sa voiture piégée près du ministère de l’Intérieur où se trouvaient de nombreuses forces de police», a-t-il indiqué. « C'est un massacre » a réagi sur peu après sur Twitter Dejan Panic, le coordinateur d'Emergency ONG italienne, accompagnant son message de photos sur lesquelles on peut voir les très nombreuses victimes. Suite à cette explosion, le président américain Donald Trump a appelé dans un communiqué officiel à une « action décisive contre les talibans et les infrastructures qui les soutiennent ». Mais lundi 29, un nouvel attentat revendiquée par le groupe État islamique d’« attaque suicide » via un message de son organe de propagande Amaq sur le réseau Telegram, a eu lieu contre l’Académie militaire d’Afghanistan à Kaboul, tuant 11 soldats et faisant 16 blessés. Suite a cette dernière attaque, le président américain Donald Trump s’est alors exprimé sur tweeter de manière très provocatrice, déclarant que tout retrait des Etats-Unis d'Afghanistan était à exclure et accentuant la pression sur le Pakistan qu’il accuse d'être un repaire pour « des agents du chaos ». Les talibans n'ont pas perdu de temps pour réagir à cette annonce et promettre un « nouveau cimetière » aux Américains s'ils s'obstinent à rester dans le pays : « Tant qu'il y aura un seul soldat américain sur notre sol, et qu'ils continuent à nous imposer la guerre, nous continuerons notre djihad », ont-ils menacé sur tweeter. Ils ont par ailleurs revendiqué un tir de roquette ayant visé l'ambassade américaine à Kaboul tard lundi. Il est singulier de voir comment le président américain entre dans le même registre langagier de la provocation et de la terreur…
Ces derniers évènements montrent combien les réseaux sociaux sont devenus le théâtre des conflits armés où les menaces entre les deux parties se font en moins de 140 mots, laissant dubitatif sur le sort du monde qui semble suspendu au vol du petit oiseau bleu qui détiendrait désormais les clés de la paix ou du désordre. Donald Trump a amorcé dés sa campagne une rupture communicationnelle sur les réseaux sociaux par rapport au style diplomatique de son prédécesseur Obama, en créant la polémique et le scandale par ses débordements successifs qui sont devenus son fond de commerce électorale (propos sexistes, racistes, harcèlement). Après son investiture, le président américain n’a pas quitté son style « impulsif, outrancier et insultant » sur tweeter, surtout pour régler ses comptes avec les journalises et ses opposants sur son territoire. Depuis le début de son mandat le New York Times a en effet retenu près de 282 personnes insultées par Trump.
Ce qui est inédit, c’est que cette attitude du clash et du trash prend l’allure d’un monstre car les débordements surgissent sur une scène bien plus dangereuse : la scène internationale. En janvier, les tweets irréels de menace échangés entre le président américain et son homologue nord-coréen Kim Jond-un ont déjà plongé le monde dans une forme de torpeur qui assistait, impuissant, à ces menaces. Le leader nord coréen s’est servi de son adresse à la nation du Nouvel An pour répéter que son pays est un état nucléaire à part, avertissant qu’il avait en permanence à sa portée le « bouton » atomique. Ce à quoi le président américain a répondu du tac au tac par un tweet « informez-le que moi aussi j’ai un bouton nucléaire, mais il est beaucoup plus gros et plus puissant que le sien, et il fonctionne ! ». Ces provocations échangées ont tenu le monde en haleine. Le réseau social a expliqué qu'il ne retirerait pas le tweet de « déclaration de guerre » du président des États-Unis, au nom de sa « valeur informative ».
Dans un contexte de tension aussi explosif que le conflit en Afghanistan, la vitesse du réseau social dépasse la logique du sens et amène à cette surprenante situation par laquelle Tweeter semble tenir en son sein l’avenir de l’humanité. Les échanges sur les réseaux sociaux, entre le président américain et les organisations terroristes, prennent la forme d’une confusion totale où le registre familier côtoie la menace de guerre. Le philosophe Paul Virilio, dans son ouvrage Vitesse et politique, montre comment en contexte de conflit armé les médias favorisent une accélération de l’échange, facteur souvent crucial d’escalade de la violence. Le couplage entre accélération et information se réalise dans la guerre que Trump livre aux terroristes, où les réseaux sociaux prennent une place inattendue.
L’excès de vitesse amène à des propos débordants récurrents. Le théâtre de guerre s’est transposé sur l’espace digital dans une logique de propagande instantanée et incontrôlée, aux yeux de tous, où les menaces d’attaque sont des appareils de dissuasion au même titre que la présence de l’armée sur le terrain. Associé au divertissement et à l’information, les réseaux sociaux font ainsi voler en éclat les frontières entre le dedans et le dehors, le montré et le caché, le vrai et le faux, le réel et la fiction. Trump se permet toutes les transgressions et met soudain le monde sous la prédation d’un débordement qui amène à des réponses immédiates comme des actions de guerre précipitées telle la multiplication ces derniers jours d’attentats terroristes à Kaboul.
Par ses menaces successives incontrôlées, Trump désoriente toute l’architecture diplomatique et géopolitique habituelle. Pour les internautes, ces monstres sont tous aussi effrayants que la réalité du terrain car ils plantent le fantasme que le pire reste à venir. La terreur vient du fait que nous sommes pris collectivement dans cet espace liminaire que sont les réseaux sociaux, où tout est ouvert, reste hors de contrôle, ce qui crée une insécurité permanente, l’évènement impensable pouvant arriver à chaque fois.