Mardi 28 aout dernier, Nicolas Hulot annonçait au micro de Nicolas Demorand et de Léa Salamé sur France Inter sa décision de quitter son poste de ministre de la Transition écologique et solidaire. Confronté aux limites de l’action politique et à la place encore trop importante occupée par certains lobbyistes, notamment dans le domaine de la chasse, l’ancien présentateur de l’émission culte Ushuaïa provoquait alors un véritable tsunami politique, prenant toute la classe politique par surprise, y compris le Premier Ministre Gérard Philippe et le Président de la République Emmanuel Macron. En effet, c’est en même temps que les auditeurs que ces derniers apprirent la décision de cette figure charismatique de l’écologie.
Dès lors, si l’on peut s’étonner d’une telle décision, on le peut bien plus quant à la forme employée par cet ancien homme de télévision. Juste après sa déclaration, Nicolas Hulot précisa, toujours dans le studio de la Maison Ronde qu’il respectait et restait fidèle aux chefs de l’état et du gouvernement et que s’il avait pris la décision de ne pas les informer de son départ, c’est parce qu’il avait eu peur qu’une fois encore, ces derniers réussissent à le convaincre de ne pas partir. Un attachement et un respect qui se confirma lorsque, cédant la place à son successeur François de Rugy, ce défenseur invétéré de la nature et de la biodiversité ne réussit pas à retenir ses larmes.
Cette médiatisation d’une décision qui se révélera, à n’en pas douter, lourde de conséquences pour le gouvernement, à peine plus d’un an après sa formation interroge donc. Signe d’un manque cruel de concertation avec le Premier Ministre et le Président pour les uns, fronde courageuse contre l’ordre établi et une politique subissant la pression de l’industrie agroalimentaire et des chasseurs pour d’autres, il paraît bien compliqué d’émettre un jugement serein sur ce choc politique et cette manière pour le moins non protocolaire de quitter un gouvernement qui connaît une rentrée décidément houleuse.
A LIRE AUSSI : Hyper Macron, Hyper image
Prenons quant à nous le parti d’interroger le support utilisé pour cette annonce. Car même si nous pouvons également envisager que l’ancien ministre n’avait pas prémédité cette déclaration, il n’en est pas moins que cette manière biaisée de prendre congé de ses fonctions se révèle hautement significative d’une société plus que jamais médiatique et médiatisante. Comment en effet ne pas constater depuis l’avènement des mass média au sortir des années cinquante une médiatisation croissante de la politique. De Guy Mollet qui reçoit à l’Hôtel Matignon le journaliste Pierre Sabbagh pour asseoir son pouvoir à Nicolas Hulot qui se rend chez Nicolas Demorand et Léa Salamé pour quitter ce même pouvoir, la télévision et la radio – et désormais Internet – se sont progressivement imposés comme faisant partie intégrante de l’action politique en France.
Mais cette relation aux médias a connu ces dernières années une évolution des plus significatives. Les sorties médiatiques des ministres des précédents gouvernements en attestent, les médias traditionnels et numériques ne sont plus les supports d’une communication officielle de la classe politique mais une sorte d’espace d’expression, voire d’épanchement, bien compliqué à canaliser. Et lorsque les membres du gouvernement ne sont pas des « professionnels » de la politique, cette liberté de ton et de contenu est bien plus grande. D’ailleurs, l’ancien journaliste avait les mois précédents ce passage à France Inter multiplié les confessions télévisuelles et radiophoniques quant à son désir de quitter le gouvernement. Annonces qui étaient restées jusque là velléitaires. Nicolas Hulot n’a donc pas trahi la confiance de MM. Philippe et Macron. Il a bien plutôt révélé un changement dans notre appréhension et la relation que nous entretenons avec les interfaces de communication.
A LIRE AUSSI : Pentecôte macronnienne par Bertrand Naivin
Car si la télévision, la radio et Internet ne sont plus pour les politiques des médias collectifs mais des vecteurs d’expression et d’auto-positionnements individuels, il en est de même pour l’internaute hyperconnecté que nous sommes tous devenus. Notre ordinateur ne nous sert plus en effet, depuis l’avènement des réseaux sociaux au début des années 2000 à simplement consulter des informations collectives, c’est à dire écrites pour le plus grand nombre. Il est bien plutôt une interface grâce à laquelle je peux échanger avec mes proches et publier ce que je pense et ressens, et grâce aux algorithmes, être informé de ce qui m’intéresse et être dirigé vers des sites ou des contenus à ma mesure. Mais bien plus, parce qu’ils facilitent la communication avec l’autre qui devient elle aussi à ma mesure – je peux appeler et répondre à mon contact quand et si je veux, tout comme je peux différer et écourter une communication à ma guise – les Smartphones et les réseaux sociaux sont devenus nos moyens privilégiés de conversation. Certaines personnes vont même jusqu’à n’échanger pratiquement plus que via SMS tout en habitant sous le même toit. Dès lors, ils instaurent chez nous l’habitude de ne plus parler directement à l’autre mais via un objet ou une plateforme web et favorisent les discussions en décalé.
Tout comme Nicolas Hulot, nous préférons ainsi livrer nos états d’âme à un micro, à une caméra ou à un clavier (tactile ou physique) et préférons bien des fois biaiser des discussions gênantes plutôt que de nous confronter à un autre dont on ne sera pas sûr de savoir gérer.
Méditons donc cette démission radiophonique. Elle pourrait en dire long sur nous-mêmes.
Bertrand Naivin