Gilles Paris est dans l’édition depuis 30 ans. Césarisé pour "Autobiographie d'une Courgette", il publie aujourd'hui "La lumière est à moi". Un recueil de nouvelles qui parle de l'enfance. La nôtre. Celle qui nous définit. Mais comment peut-on en sortir ? Doit-on en sortir ? Quel genre de citoyen invente-elle ?
Par Yasmina Jaafar
"La lumière est à moi" est un recueil de 19 nouvelles. Comment vous est venue cette envie d'écrire sur l'enfance.. parfois douloureuse ?
En fait j’écris sur l’enfance, depuis que j’ai douze ans. Cet âge où l’on ne juge pas, où l’on essaye de comprendre. Une définition en sorte de la tolérance. Cet âge de l’insouciance, de la légèreté qu’on perd un peu comme cette tolérance, en grandissant, en étant moins curieux de l’autre. J’essaie à ma mesure de garder l’enfance en moi comme une empreinte forte, ne pas juger, tenter de comprendre l’autre. Et ce n’est pas l’enfance douloureuse que je recherche, mais ce n’importe quel adulte, ou moi, en a fait en grandissant.
Un mot sur la collection Haute enfance ?
Cette magnifique collection que dirige Colline Faure-Poirée est émaillé de récits et de mémoires d’écrivains. On y trouve, entre autres, Patrick Chamoiseau, Raphaël Confiant, Chantal Thomas, Diane de Margerie, Jérôme Charyn, Jacques Drillon, Pierre Péju,Luchino Visconti et un certain Gilles Paris...
Est-ce que nos douleurs d'enfant nous définissent ?
Je dirais même que notre enfance et notre adolescence nous prédéterminent une fois adulte. Que l’on accepte d’en parler ou non, qu’on fouille dans le puits de son passé ou pas, ce que nous avons vécu enfants ou adolescents nous façonnent, nous forment, nous sculptent même.
Votre regard sur la résilience ?
C’est ce qui m’intéresse au plus haut point. Comment on arrive à surmonter des épreuves de l’enfance ou de l’adolescence et grandir sans démons. Je n’aime pas beaucoup les expressions “faire son deuil”, ou “vivre avec”. La première est erronée. On ne fait jamais le deuil d’un être aimé. Il survit en nous comme une photographie dont on connait le moindre détail. La seconde, vivre avec, ne veut rien dire pour moi. On n’acceptera jamais d’avoir été battu, ou de grandir avec un père violent, ou pire encore. On peut éventuellement pardonner, comme un fardeau dont on se débarrasse, tourner la page (pour un écrivain, ça le fait), mais il n’est pas question de vivre avec. Sinon, on n’avance pas.
Qui étiez-vous enfant ?
J’étais timide, je portais parfois les pantalons de ma sœur Geneviève, deux ans et demi plus âgée, je me réfugiais déjà dans l’écriture (un journal à dix ans, puis des poèmes, et enfin des nouvelles à partir de douze ans). A l’école je suivais les meneurs, j’étais fasciné par ceux qui se faisaient entendre et que redoutaient les profs à l’école. Je vivais insouciant dans un grand appartement parisien du troisième arrondissement à République, où je faisais du patin à roulettes avec ma sœur dans le long couloir qui menait à nos chambres.
Avez-vous réalisé vos rêves d'enfant ?
Enfant, je voulais être pompier, puis policier, puis petit rat de l’opéra, puis écrivain, enfin riche. D’une certaine manière je les ai tous exaucés en devenant écrivain. Je peux inventer n’importe quel personnage dans mes romans. Le vœux d’être riche, par contre, m’est passé sous le nez. J’ai les poches percées, je suis, je crois, bien trop généreux, et j’adore partir à l’autre bout du monde...
L’Écriture est-elle cathartique ?
Oui bien sûr. Elle agit comme un pansement qui dissimule puis soigne la blessure. Ecrire c’est un peu comme faire l’amour, il y a réellement à un moment donné une telle réunion d’émotions et de bien être qu’on le ressent absolument comme un acte d’amour et de jouissance.
Benji, Eytan, Julian... sont les personnages de ce recueil. Vous ressemblent-ils ? Et quel est leur point commun ?
Chacun de mes personnages me ressemble à un moment donné. Benji c’est une manière de dédramatiser la mort, et de dire “vous voyez, ce n’est pas si grave que ça, finalement”. Eytan c’est la part de séduction que j’ai en moi, forte, l’envie, profondément, de séduire toute personne que je rencontre. Julian, c’est le rêve, un jour, de vivre sur une Ile, et d’écrire sans relâche, sans contingence. Le point commun de tous ces personnages est d’être allé de l’ombre vers la lumière, quoi qu’il leur soit arrivé.