2019 : une « réalité » hollywoodienne de films catastrophe, de séries d’anticipation cauchemardesque au scénario imprévisible. Bref, pour les spectateurs tranquillement calés dans leur fauteuil, une année « sensasssssss » !
Difficile d’établir un bilan et perspectives sur 2019-2020 quand on lit que, selon une étude de la Banque Mondiale, le monde va mieux (sic), que l’alphabétisation et la santé progressent, que la misère régresse, que la décennie qui s’achève est « une décennie de progrès ». On se dit que les chiffres ne sont pas toujours en accord avec la réalité ou avec le « ressenti. »
Difficile aussi de faire ce bilan dans la mesure où « la fin de l’Histoire » n’a manifestement pas été le « pitch » de 2019 et que « ce qui arrive » (Paul Virilio) se bouscule au portillon de l’actualité et de l’Histoire sans avoir forcément de logique, de rationalité, de prévisibilité, même avec les meilleurs algorithmes.
Nous proposerons donc ici un florilège d’événements marquant 2019, à la manière du célèbre « Je me souviens » de Georges Perec, c’est-à-dire une « série » d’impressions subjectives et d’analyses personnelles qui en aucun cas n’épuiseront le sujet.
Dans le monde, 2019 c’est l’année où le monde dit « réel » rejoint la littérature de politique-fiction, 1984 de George Orwell ou Le Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley, un monde de surveillance des individus par les algorithmes et par les nouveaux outils de la reconnaissance faciale, un monde de littérature et de cinéma « fantastique », de Science-Fiction, d’anticipation politique, aux paysages et scenarii terrifiants de Druillet ou de Bilal. Bienvenue dans le nouveau monde.
2019, c’est un tableau apocalyptique : après le spectacle de l’apocalypse par l’eau des tsunamis, voici venu le temps de l’apocalypse par le feu : la Californie, l’Amazonie, la Russie brûlent, l’Afrique ici et là (mais on en parle moins) et en 2019-2020, l’Australie. L’Australie brûle, se consume. Un territoire grand comme l’Irlande - ou deux fois la Belgique - est en flammes, part en fumée, et rien ni personne ne semble en mesure de stopper l’incendie ravageur. Des dizaines de morts ou de disparus, des habitants qui fuient leurs maisons en flammes, se réfugient sur les plages noyées par les fumées toxiques, en attente de pauvres secours qui tardent à venir, des petits zodiaques sur lesquels embarquent des familles hébétées, spectatrices impuissantes de l’enfer sur terre, « personnes » qui ont tout perdu, réfugiées du nouveau monde. Soyons certains que les sectes et religions guettent pour proposer une interprétation eschatologique du phénomène !
Les animaux sont pris au piège des flammes et grillent par centaines de milliers. Un professeur de l’Université de Sydney évalue même à un milliard le nombre d’animaux qui ont péri dans le brasier. Un autre universitaire parle lui de « un million de milliards d’êtres vivants», toutes espèces confondues, partis en fumée. Et certaines espèces sont déjà anéanties à jamais. Des chiffres qui de toute façon dépassent notre entendement. En quarante ans, 60°/° des populations d’animaux sauvages a disparu. Tous les ans, vingt-six mille espèces disparaissent de la surface de la planète, des espèces issues de la flore et de la faune sauvages. A quand la disparition de l’espèce humaine ?
Fermez les yeux maintenant et essayez d’imaginer cette autre scène surréaliste : les dromadaires sauvages, pourtant réputés pour leur sobriété, pris par l’incendie gigantesque, sont poussés vers les points d’eau où ils viennent s’abreuver. Problème : ils représentent une menace pour les hommes et donc autorisation a été donnée d’abattre dix mille camélidés grâce à des snipers survolant les troupeaux en hélicoptère !
Sydney est empoissée et empoisonnée par un smog épais d’un nouveau genre, le monde suffoque, tousse, crache, la température affiche 48,5 degrés, les flammèches sont satellisées, on en retrouve au Sud de l’Argentine et au Chili. Et le Premier Ministre australien, quasi goguenard, revient finalement de ses vacances, affiche sa confiance dans l’avenir (« ça finira bien par s’arrêter ! »), sourit quand les « soldats du feu », exténués par leur combat et le peu de soutien qu’on leur accorde, refusent de lui serrer la main. Pas grave, il ira ailleurs développer la thèse que ce ne sont là que des phénomènes naturels, cycliques, nécessaires sans doute à la régénération de Dame Nature. Alors, « Dormez en paix braves gens...». Palme de l’incompétence ou du mépris politique. Il y a débat.
En 2019, la France aura connu la vision apocalyptique d’une usine chimique, Lubrizol, explosant et noyant la capitale normande sous un nuage de fumées toxiques. Mais comme à l’époque où le nuage de Tchernobyl s’était arrêté à nos frontières, les « responsables » rassurent la population, n’ayez aucune crainte, nous maîtrisons la situation, il n’y a pas de danger pour votre santé ! Rendez-vous dans cinq, dix ou vingt ans pour les statistiques épidémiologiques. Mais dans cinq, dix ou vingt ans les « responsables » auront disparu des écrans radar. Dans l’histoire des responsabilités politiques, il n’y a guère que la désastreuse et scandaleuse affaire du sang contaminé qui avait traduit en justice Garetta, patron du CNTS (Centre Nationale de Transfusion Sanguine) et ses ministres de tutelle, Laurent Fabius, Edmond Hervé et Georgina Dufoix.
Autre signe : pour la première fois, de mémoire d’homme en tout cas, le célèbre « zima », « l’hiver russe » (un concept !) risque de se passer cette année sans neige, avec des températures souvent au-dessus de zéro. En France le 8 janvier 2019, il fait 14 degrés, soit trois ou quatre degrés de plus que les moyennes saisonnières. Ça y est, nous y sommes donc bien dans ce réchauffement climatique, combattu par les climato-sceptiques -(Claude Allègre inspirateur de Donald Trump ?) -avec ces dernières années de la décennie, les étés les plus caniculaires enregistrés depuis la mise en place de la météo française.
Les pôles fondent et ouvrent leurs océans à de nouvelles exploitations de pétrole et de gaz (qui augmenteront encore le réchauffement climatique), les glaciers fondent, l’air des villes devient irrespirable, les « plus petites particules fines », les plus dangereuses, sont absorbées par nos organismes sans que nous puissions les filtrer et, dans nos campagnes les pesticides continuent allègrement à être utilisés (+ 25% en 2018 alors qu’une vague loi parle de les interdire).
Une adolescente, venue du froid, sérieuse comme une papesse, Greta Thunberg, parcourt le monde pour mettre en accusation l’incurie et l’irresponsabilité de « responsables » politiques dans la lutte contre le réchauffement climatique et des lycéens la suivent en faisant la grève de l’école chaque vendredi. Ses interpellations, admonestations, anathèmes, suscitent au mieux une écoute paternaliste et complaisante, au pire une ironie cinglante, voire des insultes.
Si on se risque à de la politique fiction, et compte tenu de la montée de l’intérêt des citoyens-électeurs pour les questions d’environnement (premier sujet de préoccupation désormais en France, devant le chômage), on peut imaginer que, dans la prochaine décennie, se multiplieront des dictatures vertes, ou pour le moins des « démocratures » prenant des mesures coercitives, sanctionnant durement, pénalement, les manquements à la vertu écologique : peines de prison, contraventions, retrait des droits civiques, en cas de ... moteur laissé allumé à l’arrêt, éclairage laissé allumé la nuit dans des bureaux de tours de la Défense par exemple, lavage de sa voiture à grande eau en période de sécheresse, chauffage excessif avec fenêtres ouvertes, déchets non-triés, papiers et emballages jetés sur la voie publique, vidange du moteur de son véhicule faite en pleine nature avec pollution de la nappe phréatique, usines polluant les rivières ou les airs, toutes choses la plupart du temps interdites par la loi, mais rarement sanctionnées, la liste est longue jusqu’au robinet laissant couler l’eau au moment du brossage des dents. 2019, aura été, après tout, l’arrivée au pouvoir en Autriche d’une coalition de la droite et des Verts. Signe avant-coureur ?
La décennie 2010-2020, soyons positifs et optimistes, c’est aussi, au Sénégal, pour ne citer que ce cas-là, militant et réjouissant, en dix ans, 152 millions d’arbres plantés dans la mangrove du delta de Casamance. Son auteur, l’ancien ministre de l’Environnement du Sénégal, Haïdar El Ali.
Des hommes et des femmes de 2019
Les attentats du 11 septembre 2001, l’effondrement des Twins Towers restent, du point de vue science-fictionnel, indépassables pour ceux qui l’ont vécu, même par le filtre des media. L’arrestation puis l’exécution de Saddam Hussein, de Khadafi, de Ben Laden, restent des « vignettes » émotionnelles d’une violence inédite, inscrites dans nos mémoires, peut-être même dans notre cerveau reptilien. Car nous n’avons pas de paratonnerre à émotions et nous prenons ces électro-chocs dans leur violence totale même si nous finissons par être mithridatisés.
Évidemment, ce qui aura marqué 2019, ce sont les dénonciations, les paroles libérées de femmes violées, abusées, harcelées, les #metoo, (Harvey Weinstein), #balancetonporc, la polémique Roman Polanski, et l’affaire mettant en cause l’écrivain Gabriel Matzneff. Mais plus généralement, ce sont les violences faites aux femmes, plus exactement les « féminicides », néologisme bienvenu, qui auront marqué les esprits et –espérons le – les consciences. La révélation, qu’en France, trois femmes meurent chaque semaine, sous les coups de leur conjoint, soit 149 femmes sur l’ensemble de l’année 2019, reste un phénomène invraisemblable, terrifiant, révoltant. Et on ne comptabilise pas celles qui resteront handicapées à vie ou se suicideront suite à leurs traumatismes, à leur vie brisée.
2019, c’est évidemment l’inculpation et la détention spartiate du médiatique et puissant patron milliardaire de Renault-Nissan, Carlos Ghosn, par un procureur japonais. Incroyable, du « jamais-vu » (en France !). Les chefs d’accusation sont nombreux et Ghosn risque plusieurs décennies de prison : corruption, détournements, dissimulation de revenus, abus de confiance aggravé, emplois fictifs, etc. Mais 2019, c’est aussi, le 30 décembre, l’arrivée de Carlos Ghosn à Beyrouth, après une rocambolesque cavale, digne des meilleurs thrillers. D’ailleurs Netflix ne s’y est pas trompé et a demandé immédiatement à acheter les droits pour en faire un film ou une série ! Ghosn has gone !
2019, c’est aussi la scandaleuse vente d’armes à l’Arabie Saoudite, scandaleuse quand on sait que ces avions, ces hélicoptères, ces chars, ces missiles serviront dans la guerre au Yémen, même si le Président Macron dit avoir la garantie que cela ne sera pas utilisé contre des civils. Mais scandaleuse aussi et surtout quand on se souvient du scénario macabre du 2 octobre 2018. Ce jour-là, le journaliste saoudien et correspondant du Washington Post, Jamal Khashoggi, éditorialiste critique de Riyad, se rend au Consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul pour faire des démarches en vue de son mariage. Au cours d’un interrogatoire, il est torturé, on lui coupe les doigts, on le découpe vivant et finalement il est décapité par un médecin légiste écoutant en même temps de la musique. Le Consul lance aux tortionnaires, des agents saoudiens dépêchés pour la salle besogne : « Faites ça dehors, vous allez m’attirer des problèmes. » ; l’un d’entre eux rétorque « Si tu veux vivre quand tu reviens en Arabie Saoudite, tais-toi ». Parmi les quinze hommes venus de Riyad soupçonnés d’avoir participé à cette barbarie, onze ont des liens avec le prince héritier MBS, Mohammed Ben Salmane. Et passées les premières condamnations officielles de nos gouvernants Tartuffe, et alors que le régime finit par assumer la responsabilité du meurtre, les affaires repartent de plus belle, les ventes de matériel militaires reprennent, contre – bien sûr - le pétrole du royaume.
2019, c’est le bras de fer entre Trump et l’Iran, la menace d’une guerre, voire d’une guerre nucléaire ; et le 3 janvier 2020, c’est un général iranien, Qassem Soleimani, ennemi juré des États-Unis et de l’Occident, héros du peuple iranien et grand organisateur de la déstabilisation du Moyen-Orient pour l’hégémonie de l’Iran sur la région, et une dizaine de hauts gradés l’escortant en voiture sur la route de l’aéroport de Bagdad, en Irak, est « volatilisé, vaporisé », (expressions militaires consacrées), atomisé, par l’attaque d’un drone américain. Monde relevant du fantastique : là où par le passé il fallait pour assassiner un responsable politique de haut niveau construire toute une stratégie et une logistique nécessitant espions infiltrés, tueurs professionnels, etc., en 2019, on a simplement à se servir, « hygiéniquement» d’un petit jouet volant, télécommandé pour une frappe chirurgicale ne faisant aucune victime du côté américain. Technologie, technologie ! Évidemment les représailles iraniennes ne se font pas attendre, escalade de la violence. Après deux cents missiles iraniens tirés sur les bases américaines en Irak (« aucun mort, aucun blessé », assure Donald Trump, grand prêtre du paranormal!) et un Boeing ukrainien abattu – par erreur ( ?!) -par un missile iranien, faisant 176 morts, on attend « l’incident » nucléaire.
2019, c’est un historien russe, professeur d’Université, Oleg Sokolov, 63 ans, arrêté par la police dans la rivière Moïka, à Saint-Pétersbourg, déguisé en Napoléon ( !!!) après avoir tué et démembré sa compagne de 24 ans, une ancienne étudiante avec laquelle il avait co-signé plusieurs livres. Dans son sac à dos, deux bras de femme et un pistolet. Lors d’une dispute, il lui avait coupé la tête, les bras et les jambes. Il était titulaire d’une chaire d’histoire à l’université de Saint-Pétersbourg, invité à l’École pratique des Hautes Études de la Sorbonne, conseiller de l’Issep, école fondée par Marion Maréchal Le Pen, décoré de la Légion d’honneur. Faut-il en rire ou en pleurer ?
En 2019-2020, en France, « tout va très bien, Madame la Marquise... »
2019, c’est le mouvement des Gilets Jaunes, « en marche » chaque samedi de l’année, avec constance, obstination, détermination (« rien à perdre car on a déjà tout perdu ! »), des dizaines (centaines, parfois) de milliers de Français se sentant menacés de paupérisation, voire guettés par la misère, (14°/ des Français sont au seuil de la pauvreté soit environ neuf millions), c’est des travailleurs, des retraités, défilant dans les villes, grandes, moyennes et petites, c’est la France des « territoires » manifestant contre des mesures du gouvernement (augmentation de cinq centimes du prix de l’essence, diminution des A.P.L. - Aides Personnalisées au Logement, et, en face, la suppression de l’ISF -Impôt Sur la Fortune- non immobilier.
2019, c’est un manquement à la promesse du Président Macron d’une politique équilibrée, servant « en même temps » les riches et les pauvres, c’est l’occupation des ronds-points avec souvent une ambiance « gauloise », bon-enfant, c’est la solidarité, un mouvement soutenu par une grande majorité de Français, c’est un mouvement sans chefs, ce sont des têtes nouvelles, c’est une conscience politique nouvelle également, avec appel à des Référendum d’Initiative Citoyenne, une réforme de la Constitution pour une République participative, ce sont des violences sur les Champs-Elysées et ailleurs, ce sont vitrines brisées et des pillages d’enseignes de luxe ou de banques, le saccage de monuments (L’Arc-de-Triomphe), ce sont des violences policières, des morts, des blessés, des mains arrachées, des yeux crevés par des L.B.D., (Lanceurs de Balles de Défense), c’est un Grand Débat voulu par Emmanuel Macron, ce sont quelques milliards lâchés pour calmer la colère, une augmentation du SMIC.
2019, c’est la loi Pénicaud sur l’avenir professionnel, après la Loi Travail, ce sont les manifestations des cheminots après la réforme de la SNCF, contre les restructurations et l’ouverture du fer au privé.
2019, c’est un management politique de la « startup Nation» qui s’inspire du management des grandes entreprises. Quand un nouveau chef arrive aux commandes de l’entreprise, il déclare que ce qui a été fait par son prédécesseur est nul, qu’il faut casser l’ancien système pour en élaborer un nouveau. Mais avant de construire il faut détruire ce qui existe. C’est une phase exaltante. Il en va sans doute ainsi de la réforme du système des retraites. Au lieu d’améliorer le système existant, on fait table rase du passé, sans toutefois dire ce qu’il faut pour sortir du flou, des zones d’incertitude, par exemple, la valeur du point, la définition d’une carrière longue, etc. Toutes choses anxiogènes. Mais malheureusement – ou heureusement – le nouveau patron reste le temps nécessaire pour détruire, il part bientôt, appelé par une autre entreprise, avant d’avoir eu le temps de construire et surtout de tester l’efficacité du nouveau système. On aura compris que dans cette analogie, « patron » rime avec « Macron ». Il aura, lui aussi, la possibilité de ne pas se représenter, d’aller chercher fortune ailleurs et de passer le mistigri à Bruno Lemaire (dans les starting-blocks depuis longtemps) ou à Edouard Philippe, lesquels reviendront d’ailleurs sur le nouveau système en vertu du principe énoncé ci-dessus. On avance donc dans le brouillard, alors que la question de l’avenir des individus, de leur vieillesse est anxiogène. Ce management moderne repose sur le présupposé marketing que ce qui est nouveau est forcément mieux que ce qui est ancien, « vieux ». Il faut « changer », voilà le slogan, l’idéologie devrions-nous écrire, une idéologie marchande puisque c’est cette mécanique qui fait tourner la machine économique. Il faut changer et la résistance au changement doit être réduite, combattue, anéantie, y compris celle du Président du Sénat, Gérard Larcher, définitivement hostile au projet de réforme des retraites. En réalité l’innovation n’a bien souvent que la préséance de l’âge. Tout beau, tout nouveau. Ainsi en va-t-il de la réforme du système des retraites. On se persuade et surtout on tente de persuader que l’ancien système est vieux, dépassé, et qu’il faut construire un modèle nouveau, jeune, performant, adapté au nouveau monde. On fait l’impasse sur ce qui pourrait être amélioré, réformé dans l’ancien système, en particulier parce que celui-ci appartient au vieux monde, celui où l’Etat Providence avait un sens, pour inaugurer un système libéral où les compagnies d’assurance privée vont « faire leur beurre » et où les classes moyennes et défavorisées vont être de plus en plus défavorisées.
2019 c’est aussi, d’une certaine façon, la dépolitisation et la démoralisation d’une partie de la jeunesse. Fini de se projeter dans l’avenir, car on ne voit pas d’avenir ! Pour Clive Hamilton, philosophe australienne, professeur d’éthique publique, on peut décréter, après « la mort de Dieu » avec Nietzsche, « la mort de l’avenir ». Alors, vivons le présent, dépensons au jour le jour et consommons puisque le monde se consume. Ce sont les « seniors », comprendre, « les vieux », qui manifestent, ce sont les seniors qui font grève (ce sont eux aussi d’ailleurs qu’on retrouve principalement dans les salles de théâtre, ce qui signifie qu’à terme le théâtre est mort !). Nombre de jeunes sont désormais emmurés dans le « à quoi bonisme », dans la résignation, et dans la certitude que ce n’est pas la peine de se battre puisque la cause est perdue : ils n’auront jamais de retraite, de protection sociale, de vraie couverture maladie, de salaire garanti à vie, etc.
Ils regardent leur feuille de paie, sont contents quand leur salaire a été augmenté, sans se rendre compte que la petite augmentation est en fait terriblement entamée, rognée, par les suppressions des avantages de l’État Providence. Quand la « loi travail », la « réforme » de la Sécurité Sociale, des allocations chômage, de la retraite, quand le démantèlement, la paupérisation de l’hôpital public, de l’éducation nationale, de l’université font disparaître des éléments de la richesse collective et individuelle, ce sont au bout du compte autant de pertes sur le salaire réel puisque, dans le nouveau monde, si on est dans une urgence médicale on ira se faire soigner dans une clinique privée, si on souhaite que ses enfants échappent à la misère de l’école publique ou de l’université, on les enverra dans des écoles privées, et puis encore, on devra prendre des assurances « complémentaires » ( !!!) pour sa retraite, et on devra désormais payer pour tout ce qui était, par le passé, pris en charge solidairement par la collectivité.
Demain est incertain de toute façon. Le combat est inégal face aux puissances de l’argent, de la finance internationale, il vaut mieux mettre en place des solutions dites personnelles, individuelles . Contre le système, le système D. D comme « débrouille » mais aussi comme « désarroi ».
Ce manque de confiance généralisé, mesuré chaque année par une enquête commandée par Sciences-Po Paris, est sans doute la caractéristique la plus grave de cette année 2019. Notre confiance s’est effondrée, vis-à-vis de la Justice, de la police, de la médecine, des chefs d’entreprise, des commerçants, des enseignants, des media (en bas de l’échelle !), des élus locaux (fait nouveau), des syndicats, de la classe politique. Qui croire, de l’organisme « indépendant », missionné par le gouvernement, pour compter les manifestants (15.000, assure-t-il !) et les syndicats (pour eux 370.000 !) ? De telles manipulations aboutissent à ce que plus personne ne croit plus en rien ni en personne. Grave ! Surtout, le crédit de l’exécutif jeune et nouveau (Macron-Philippe), s’est, en deux ans – un record !- dilapidé avec la réforme du travail, la réforme de la SNCF, la « gestion » de la crise des Gilets Jaunes (plus d’un an de manifestations), et bien sûr avec le projet de la réforme des retraites (la plus longue grève de mémoire de Cinquième République !), et cela, non pas tant du fait du « contenu » de ses réformes que du fait des méthodes utilisées : la brutalité de Jupiter, ou sa manipulation irénique de fausses concertations. Plus grave encore, cette crise de confiance mesurée par le sondage se manifeste aussi vis-à-vis de nos proches, de nos voisins, de nos enfants, de nos parents. Nous sommes tous touchés, affectés.
Alors, comment faire société quand plus personne n’a confiance en l’autre, quand on se barricade chez soi, quand on regarde son voisin dans le métro comme un possible terroriste ou un voleur ? Comment faire société quand on ne peut plus avoir confiance dans les dirigeants politiques d’un pays, quand ceux-ci prennent les citoyens-électeurs pour des gogos à qui on peut faire avaler toutes les couleuvres du monde, revenir sur des accords patiemment négociés avec les partenaires sociaux et brusquement – brutalement – s’asseoir dessus en décidant du jour au lendemain, seuls dans son coin que l’âge pivot sera 64 et non 62 ans ? Comment avoir confiance en eux quand la réforme est présentée au moment des fêtes de fin d’année, en misant sur le fait que les grèves et les perturbations dans les transports en commun et les difficultés de circulation feront finalement basculer l’opinion publique, excédée, contre les grévistes et les syndicats ? Ces tentatives de manipulation sont d’une ingénuité confondante, d’un angélisme de débutants ou d’amateurs.
Heureusement, 2019 est aussi la preuve que les Français ne sont pas tous des spectateurs impuissants, calés dans leur fauteuil de cinéma, spectateurs de spectacles cauchemardesques, en attente passive d’une réalité devenue imprévisible, irrationnelle. Ils utilisent leur bulletin de vote pour « dégager » les incompétents, les menteurs et les corrompus, ils manifestent leur colère et leur indignation.
2019 : ou « J’en appelle à la responsabilité de chacun ».
2019 aura été l’année de la « responsabilité » ! Totem, mantra, anathème, formule vide, le couteau suisse ridicule de l’argumentation politique. Écoutez les déclarations d’Emmanuel Macron, d’Édouard Philippe, de Christophe Castaner, des ministres, de Laurent Berger de la CFDT, de Philippe Martinez de la CGT, de Geoffroy Roux de Bézieux, « le patron des patrons », etc. D’une façon comique – mais déprimante tant l’argument est nul et vide – chacun appelle l’autre « à prendre ses responsabilités » et déclare, de façon un peu menaçante, que le cas échéant, « il prendra ses responsabilités », il « saura prendre ses responsabilités ». La « Responsabilité » avec un grand Air, le nouveau mot-valise, vous y fourrez ce que vous voulez, n’importe quoi, voire, rien !
La bataille de « la responsabilité » aura bloqué les négociations, chacun s’envoyant à la tête cet argument vide : « J’en appelle à la responsabilité des syndicats, à la responsabilité de chacun », « le gouvernement doit assumer ses responsabilités ». Résultat : quarante jours de grève qu’on aurait pu éviter en n’inscrivant pas l’âge pivot à 64 ans comme une déclaration de guerre, quarante jours qui viennent après deux années de concertation sur le sujet entre les partenaires sociaux et le Haut Représentant-Ministre, Jean-Paul Delevoye!
2019, c’est l’ère de la manipulation médiatico-politique, l’ère de la désinformation (la manière dont le dossier des retraites a été présenté en est un malheureux exemple), l’ère du retournement de la cote de popularité des forces de l’ordre acquise cinq ans auparavant après les tueries de Charlie et du Bataclan.
Autrefois acclamées et remerciées, elles sont souvent en 2019 conspuées, du fait des « bavures » si nombreuses qu’elles apparaissent désormais à beaucoup comme un mode de maintien de l’ordre, avec usage d’une force non-proportionnée, notamment avec les grenades de « désencerclement », les L.B.D., les Lanceurs de Balle de Défense, (interdites dans la plupart des démocraties européennes) car occasionnant des dégâts considérables, un usage dénoncé par certaines institutions françaises, européennes ou par des O.N.G.
Triste bilan pour 2019, me direz-vous ? Sans doute. Et pas sûr que 2020 soit toutefois un meilleur cru. Mais, comme l’écrivait Alexandre Zinoviev dans Les Hauteurs Béantes, le pessimiste dit « ça ne peut pas aller plus mal », l’optimiste dit « mais si, mais si. » Soyons donc optimistes !