Coincés entre l'obligation d'être parfaits pour échapper aux jugements et l'envie de se vautrer dans un sentiment de revanche... les "dits" "noirs" se rebiffent. Et les "dits" "blancs" se vexent. Ils se disputent de façon sourde... pour l'instant. Cette vision du monde est un danger pour notre démocratie. Cette globalisation et ces termes qui réduisent l'Être casse la République. Si rien ne change et que ces tensions empirent, une seule chose restera inaccessible : l'unité !
Le monde dans lequel nous vivons demande bien plus d'efforts aux fragiles, aux exclus, aux femmes, à l'Autre venu d'ailleurs...
Mais ceux qui se sont sentis noirs dans le regard des autres, ceux qui ont la revanche chevillée au corps, ceux qui ne se remettent pas de l'esclavage, ceux qui veulent régler leurs comptes avec l'Histoire... à défaut de pouvoir le faire avec ceux qui ont fomenté cette Histoire dans un contexte ancien et particulier... Ceux-là sont déterminés à se sauver par tous les moyens. La colère, la bataille, la vocifération... jusqu'à s'exclure, jusqu'à ne plus faire Nation. Jusqu'au séparatisme.
Depuis le meurtre affreux de Georges Floyd, une émotion s'est emparée du monde entier et aujourd'hui cela se traduit par le déboulonnage en mauvaise et due forme de différents symboles à Paris et ailleurs. En Belgique par exemple Léopold II.... et il y a de quoi... est remis en cause. Ici c'est Colbert, Gallieni et même Voltaire. Voltaire est celui qui a l'esprit le plus libre des Lumières. Il a écrit une critique contre l'islam mais aussi contre toutes les autres religions ! Contre tous les dogmatismes. C'était un homme libre, un penseur, un dandy magnifique et un intelligent.
Les réactions, les mobilisations liées à cette mort abjecte renfermaient des gens en demande de justice. Ce qui est bon signe dans une République. Mais sont venus se greffer des agitateurs qui eux voulaient en découdre avec la République. L'ignorance poussent certains à tout confondre. La préférence serait de garder ces symboles et d'en ajouter d'autres. Même si certains personnages de l'Histoire ont été des monstres, notre humanité doit le savoir à jamais. J'opte pour d'autres rues ou d'autres avenues Manu Dibango, Aimé Césaire ou Nina Simone... Ajoutons tous les artistes, les politiques, les philosophes et les penseurs rassembleurs et positifs. Mais n'éradiquons pas. L'épuration convient à l'extrême. N’y succombons pas.
SE REGARDER EN FACE POUR S'ENTENDRE...
Élisabeth Badinter l'a dit récemment dans l'Express : "La France a échoué".
Elle a joué à ne pas nommer les choses. Elle a échoué à force de tourner la tête. Elle a échoué à ne pas regarder ses bévues en face et à laisser pourrir une situation qui aujourd'hui lui explose à la gueule. Elle a poursuivi dans ses errements peu importe les gouvernements.
Par exemple, une erreur sémantique persiste depuis plus de 40 ans. Pourquoi parlons-nous d'Arabes de France, de Juifs de France, de Musulmans de France, de Noirs de France ? Pourquoi nommons-nous les gens ainsi ? Pourquoi ne disons-nous pas simplement "des Français" ? Pourquoi quand deux bandes s'affrontent à Dijon - ville que Marine Le Pen a comparé au Liban soit dit en passant - une grande partie de la presse et des politiques indiquent que ce sont des bandes "communautaristes" ? Des "maghrébins" contre des Tchétchènes... Je rappelle qu'un maghrébin né en France est un français. Pourquoi est-ce qu'en 2020 nous en sommes encore là ?
Le communautarisme a un suffixe très précis pourtant. Il induit une idéologie politique. À Dijon, au regard des propos du procureur de la ville Eric Mathais, il s'agissait de mafias qui se battaient des territoires. Rien à voir avec de la politique. Les termes ont un sens clair.
Ces nominations assignent à résidence et poussent les colériques, les vengeurs à imaginer qu'ils ont raison. C'est une minorité certes qui se fourvoie dans une pensée victimaire mais la France lui donne raison. Des hommes et femmes politiques populistes s'emparent de la situation et jouent avec l'histoire. Ils la manipulent, parlent des Lumières comme du Liban... parlent du communautarisme comme du grand banditisme. Ils raccourcissent.
À mal nommer les choses et à jouer avec les concepts, ils séduisent les foules et les universalistes, amoureux des Lumières, risquent de perdre la bataille des idées.
C'est au peuple qu'il faut s'adresser et non aux foules. Une élection se profile dans moins de deux ans. Emmanuel Macron a choisi Marine Le Pen et Marine Le Pen a choisi Emmanuel Macron. Peut-être surgira un outsider sait-on jamais. Mais la tension est telle dans l'hexagone que je m'attends au pire.
Dans ce pays fou de liberté et après quatre mois de privation totale pour cause de crise sanitaire nous nous retrouvons et nous nous rudoyons les uns, les autres. Le tout dans une frénésie folle.
L'essentiel est ailleurs ! L'essentiel n'est pas d'enlever l'image de l'homme noir sommelier à Chicago nommé Franck Brown… sur les paquets de riz Uncle Ben's ! L'essentiel n'est pas de revenir sur l'histoire marketing de Banania ! tous cela reste de opportunisme commercial. Les marques aujourd’hui ont saisi qu’elles devaient soigner leur image... Il n'y a rien là dedans qui pourrait changer les préjugés en profondeur. Ça c'est le travail de la politique. L'important est de permettre à tous un accès au savoir et aux postes à responsabilités dans tous les secteurs professionnels.
Il est nécessaire de faire la différence entre la mémoire et la radiation. Il serait utile et sain que d'un côté la France continue à reconnaître ses erreurs comme l'est la colonisation et que de l'autre, les appelés éternellement "étrangers" ou "issue de..." se sentent enfin français... et là seulement pourrait exister un chemin vers la réconciliation.
Je suis persuadée que la culture, l’éducation, et l’apprentissage forment les seuls outils qui nous sauveront. Alors apprenons notre histoire, toute notre histoire mais ensemble. Se sentir coupable ne produit que des platitudes. L'important est d'assumer ce que l'on a fait, de résilier et de passer à autre chose. Toute douleur, aussi forte soit-elle, ne doit pas devenir notre identité.
Yasmina Jaafar