Je suis 007 !
Décalée au 31 mars prochain en raison de l'actuelle pandémie de coronavirus et de la fermeture des salles de cinéma pour raisons sanitaires, la sortie du prochain James Bond ne cesse de faire couler de l'encre. Mais une encre haineuse, raciste et misogyne. On sait en effet depuis l'été 2019 que le prochain agent du MI6 à détenir le célèbre matricule 007 ne sera pas un homme blanc, mais une femme noire, Lashana Lynch. Réalisé par Cary Joji Fukunaga, ce nouvel opus de la saga inspiré du personnage créé en 1952 par Ian Fleming s'annonce donc être une réelle révolution. Car quelle audace que de briser le sexisme « à la papa » qui pouvait régner jusqu'alors dans ces films où la femme, potiche ou femme fatale, n'y était vue que comme un objet de désir, immuablement sexy et séduite par l'espion britannique. Qui plus est une femme noire, alors que la lutte contre les violences racistes perpétrées par certains policiers a enflammé les États-Unis en 2020 ! Toutefois, et contrairement à ce qui a pu être un temps cru, l'éternellement flegmatique James Bond ne sera pas remplacé par ce nouvel agent. Il n'est qu'à voir l'affiche du film pour s'en convaincre, sur laquelle s'étalent le visage de Daniel Craig et de Léa Seydoux. Nomi, le nouvel agent bénéficie juste comme lui du même permis de tuer que signifie la licence 007. Ce n'est donc pas James Bond mais 007 qui se féminise. Une nuance d'importance qui rappelle l'extrême plasticité du personnage d'origine et qui a permis aux réalisateurs successifs de l'incarner sous des personnalités et physiques très divers.
Que l'on pense en effet au très british Sean Connery, au délicat Roger Moore ou plus récemment au musculeux Daniel Craig, il n'y a jamais eu un mais des James Bond. Du dandy amateur de Martini Dry à l' « armoire à glace » des dernières années, les réalisateurs ont ainsi eu l'intelligence de renouveler une figure qui incarne ce faisant autant un classique cinématographique et littéraire que la société contemporaine à sa projection en salle. Raisons pour lesquelles la sortie du nouveau James Bond est toujours un événement. Il est une façon de mesurer le présent par le recours au passé et à l'immuable, de temporiser la réactualisation constante d'une société éprise de vitesse et de nouveauté par la ritualité d'un personnage que l'on retrouve à intervalle plus ou moins régulier, et de se rassurer dans un présentisme plus exacerbé que jamais en revenant à une figure qui évolue mais conserve son identité profonde.
Dès lors, si James Bond restera un homme qui pourrait être incarné dans l'opus suivant par un nouvel acteur, si il est toujours de service dans ce Mourir peut attendre (No Time to Die), le choix d'attribuer à une jeune femme noire le statut d'agent 007 peut être vu comme une façon habile de continuer ce travail de déclinaison du même à l'heure du #metoo et du mouvement Black lives matter. Il est en tout cas le meilleur moyen de durer en épousant les préoccupations de son temps tout en affirmant sa fidélité au passé.
Ce nouvel agent, et surtout le couple qu'il forme avec James Bond révèle en tout cas une société qui change et veut se voir dans sa diversité. À noter, que l’actrice ne remplace pas le héros, elle vient le compléter. Inutile de crier au loup car une héroïne viendrait effacer le fameux 007 ! Elle a été inventée par les créateurs, elle n'imite pas et ne seconde pas. Le vieux monde incarné par l'agent Bond ne peut plus prétendre gérer seul le sort de l'humanité. Il doit désormais s'associer à parts égales avec le présent que représente ici son alter ego féminin et jamaïquain. Le fantasme imposé par une caste de cols blancs ne peut enfin plus faire comme si le réel n'existait pas.
Signe des temps, c'est un afro-américain qui devient le nouvel Captain America à la fin du dernier Avengers, sorti en avril 2019. Et depuis le 8 janvier dernier, Netflix propose une nouvelle série : Lupin. Celle-ci met en scène un Français d'origine sénégalaise, Assane Diop qui entend venger son père, accusé injustement d'avoir volé un richissime homme d'affaires dont il était le chauffeur. Fasciné par Arsène Lupin, il deviendra à son tour gentleman cambrioleur. Comment ne pas voir alors dans ce personnage joué par Omar Sy comme le pendant masculin de l'agent Nomi ? Comme elle, il perpétue l’œuvre d'une figure légendaire, d'un archétype de l'espionnage pour l'un et du cambriolage vertueux pour l'autre. Et comme elle, cet héritage entend rééquilibrer des années au cours desquelles le héros était forcément un homme blanc cultivé.
Comme le dit l'acteur français dans le premier épisode, ils incarne ce peuple d'en bas que ne remarquent pas, parce qu'ils les ignorent, les gens d'en haut. Une infirmité sociale et culturelle qui n'a désormais plus sa place au XXIème siècle.