La journaliste Roselyne Febvre est mère. Elle se bat pour permettre à son fils Arthur de continuer à vivre. La drogue l'a abîmé. Comme beaucoup de parents seuls et courageux face à l'addiction, elle lutte. Un témoignage poignant "Les battements de cœur du colibri" (éd.du Rocher). Rencontre :
Écrire a-t-il été cathartique ?
Oui ! Non seulement cathartique mais guérisseur. J’étais à la fois dans un repli car ce que je vivais était obsessionnel et demandait de vivre une certaine solitude face à un drame qu’il est difficile de partager avec les autres.. ; mais paradoxalement être avec les autres en écrivant pour partager avec ceux qui vivent cela… et surtout dévoiler ce que beaucoup de parents vivent dans le secret car dire que l’on a un enfant qui se drogue où va mal est difficile à partager…
Avez-vous été aidée par des amis ou votre cercle familial ?
Oui, j’ai été bien sur épaulée par les amis mais là encore partager est difficile car tout le monde a son avis et son conseil... Parfois la famille n’a pas été toujours là ou par moments… ils étaient impuissants, partagés entre la colère et l’incompréhension…
La drogue et ses méfaits sont-ils encore tabous dans notre société ?
Oui. À la fois, on parle beaucoup de la drogue, des points de deal, de la légalisation ou du trafic mais peu s’intéressent au véritable mal qui font les dégâts sur la santé mentale et sur les jeunes qui fument trop tôt. Le cerveau est à maturité à 25 ans et quand les jeunes fument à 14, 15 ou 16 ans... cela provoque parfois des failles irrémédiables et ils déclenchent des maladies psychiatriques type bipolarité.
Faut-il initier une vaste opération de sensibilisation dans les écoles ?
La prévention est peu présente ni très efficace car le sujet est malheureusement pas assez abordé dans les écoles. Il devrait y avoir des campagnes de sensibilisation dès les collèges. Mais pour que celles-ci ne soient pas inopérante, elles devraient être faites par les jeunes eux-mêmes qui ont eu une mauvais expérience type bad trip ou bouffées délirantes… Et ce n’est pas seulement le cannabis qui pose problème mais toutes les autres drogues de synthèse.
Votre profession de journaliste qui sait aller chercher l'information vous a-t-il aidé ?
Ma position de journaliste ne m’a pas aidée. J’étais dans la même impuissance face au manque de structure et de prise en charge de la même façon que n’importe quel parent. Elle m’a aidée une fois le livre écrit à communiquer.
Comment se sortir de la culpabilité ?
La culpabilité est un sentiment auquel on ne peut échapper. Mais il faut s’en extirper car elle détruit et ne fait pas avancer. Quand on est confronté a un tel sujet, il faut aller soi-même consulter pour savoir comment aborder le sujet. Souvent la personne en proie à l’addiction est dans le déni et n’y voit rien de mal. Donc, si on tente de tout contrôler, on ne contrôle rien et on peut parfois faire des erreurs. Souvent le milieu familial peut devenir toxique sans le vouloir… donc c’est aux professionnels de gérer. La famille doit être en soutien. Une ancre solide. Pour soutenir quelqu’un qui va mal. Il faut tout faire malgré tout pour aller le mieux possible soi-même.
Qu'est-ce qu'un "comportement ordalique" ?
Le "comportement ordalique" est un comportement No limite ou ce qu’on appelle border line. On vient ainsi tester son risque… avec le besoin de tester une approche parfois de la mort ou en tout cas de savoir si celle-ci voudrait bien de vous. On pourrait inverser : est ce que la vie veut bien de vous ?
Le vendredi 15 octobre était la journée internationale de la toxicomanie. Comment appréhendez-vous cette journée ?
la journée de la toxicomanie ne semble avoir intéressée personne. C’est désespérant !
39 % des jeunes de 17 ans ont expérimenté le cannabis et 7 % sont des fumeurs réguliers. Votre regard sur le débat autour de la légalisation du cannabis ?
Je n’ai malheureusement pas la solution. C’est un sujet qui demanderait d’abord que l’on fasse le bilan des pays qui expérimentent. Mais si l’idée était géniale, nous l’aurions fait depuis longtemps, non ? Le problème c’est que le marché noir sera toujours alimenté par d’autres trouvailles diaboliques… Du cannabis beaucoup plus chargé en THC (la substance qui rend stone). Le débat en tout cas mérite d’être posé.
Comment va Arthur aujourd'hui ?
Il va mieux. Il a trouvé le centre thérapeutique qui semble lui convenir où il fait un travail de psychothérapie de fond. Il est sorti du déni et commence à comprendre qu’il était en train de détruire sa vie. Mais qu'elle reste fragile même si l’espoir est là.
«Les battements de cœur du colibri», Roselyne Febvre. Ed. du Rocher