La militante féministe et écrivaine Christine Le Doaré : "En tant que féministe, je dénonce depuis toujours, les violences sexuelles de la domination masculine"

Par
Yasmina Jaafar
17 septembre 2024

Christine Le Doaré publie "J'ai couru vers toi". Un roman thriller féminin et féministe qui happe. Amour, choix sexuel, suspense, regard sociologique, chronique politique, tout y est. La féministe engagée nous nous livre également son point de vue sur l'évolution du mouvement #Metoo et nous explique pourquoi son soutien envers la journaliste Caroline Fourest reste entier.

Dans votre dernier roman "J'ai couru vers toi", nous croisons différents protagonistes de toutes les origines et de toutes orientations sexuelles. Vous inventez un univers où tout est possible. Aimer qui l'on veut à l'instar d'Alix et de Léa qui vont vivre un amour inattendu. Avez-vous tenu à faire un roman social miroir des tracas de nos sociétés modernes ? 

Ce n’était pas mon intention au départ, mais en le relisant une fois achevé, j’ai réalisé que le récit était en effet un miroir de la société actuelle. J’avais surtout envie d’écrire un roman noir, que peu à peu la ville de Nantes écrin du roman, comme la vie des personnages s’assombrisse jusqu’à ce que l’irrémédiable se produise. Les siècles derniers, les histoires d’amour entre femmes finissaient mal en général, puis comme pour compenser, nous avons traversé une période où beaucoup de romans mettaient en scène des amours lesbiens au romantisme échevelé. J’ai voulu écrire une fiction actuelle à la fois réaliste et poétique où tout était possible, sans compromis. 

Votre libre est-il un plaidoyer pour plus de tolérance ?

Je n’en suis pas certaine, pour plus de liberté d’explorer les possibles et d’affirmation de ses désirs peut-être. Il y a aussi quelque chose de plus sombre et désespéré. En tous cas, c’est un roman profondément féministe, que ce soit dans dans la vie intime de chacun des personnages ou dans les aspects plus sociaux et politiques. 

Nous vous connaissons pour les ouvrages importants "Fracture : Le féminisme et le mouvement LGBT en danger" (2021) et  "Traité féministe sur la question trans : De violentes polémiques, des solutions faciles à mettre en œuvre" (2024). Roman ou essai, quel exercice a votre préférence ? 

Écrire des essais relatifs aux thèmes pour lesquels j’étais engagée dans une vie militante était une démarche toute évidente et nécessaire, alors qu'écrire un roman est lié à ma nature plus intime, à un côté plus contemplatif et à mon goût pour l’imaginaire. J’ai une préférence plus affective pour le roman. 

Que pensez-vous de l'évolution du mouvement #Metoo ? Peut-on invoquer la nuance comme le propose à raison la journaliste-écrivaine Caroline Fourest ou est-ce trop tôt ? 

Je fais une distinction entre d’une part le mouvement #Metoo qui est un mouvement dirigé par des femmes politisées, mouvement que par exemple nous n’avons jamais vu prendre parti pour les femmes qui de par le monde, tentent de se libérer du joug de l’oppression patriarcale religieuse, comme les Iraniennes et bien d’autres, et d’autre part la parole des femmes victimes de violences sexuelles. Il a d’ailleurs été établi qu’aux États-Unis notamment, des cheffes du mouvement étaient engagées dans d’autres agendas politiques qui étaient leur priorité, et ont pour certaines été écartées. 

En tant que féministe, je dénonce depuis toujours et avec une conviction chevillée au corps et à l’âme, les violences sexuelles de la domination masculine et je suis du côté des victimes, toujours. Il était plus que temps que la parole des femmes se libère et que les hommes se remettent en question, y compris ceux qui n’ont pas commis de violences sexuelles, pour que la société change en profondeur et que les femmes soient en sécurité, partout, chez elles comme dans la sphère publique. Mais cela ne doit pas donner lieu à des excès qui nécessairement se retourneront contre nous. L’arbitraire des procès de rue, les lynchages médiatiques font beaucoup de mal. Les femmes qui confondent une projection parfois induite par une mémoire traumatique et la réalité d’une agression sexuelle aussi. Certes cela est rare ramené au pourcentage supposé de femmes victimes de violences sexuelles, notamment dans l’enfance. D’ailleurs je me demande si tant de femmes que ça en ont réchappé. Mais cela arrive et l’emballement n’aide en rien à établir les faits avec certitude et objectivité comme seul peut le faire un procès judiciaire. Le mouvement #Metoo s’il veut continuer d’avancer pour changer la société en profondeur doit rationaliser, canaliser les émotions et travailler avec la raison.

Pour le moment, il ne donne guère cette impression,  il y a même des figures féministes qui instrumentalisent la souffrance des femmes victimes à des fins plus personnelles de carrière et autre. C’est inhérent à tout mouvement social mais je le déplore fortement en matière de féminisme car c’est par définition un comportement opposé à toute éthique féministe. Il n’est absolument pas trop tôt pour nuancer, bien au contraire, il ne faudrait pas que les luttes des femmes se retournent contre elles, et cela implique de définir une stratégie gagnante pour les femmes et par là-même pour tout le monde. Avoir du recul, réfléchir, critiquer dans le sens constructif du mot, ne peut jamais faire de mal. Caroline Fourest n’est pas la seule à apporter de la nuance pour garantir l’efficacité et la pérennité de #Metoo ou plus exactement de la libération de la parole des femmes contre les violences sexuelles (il y a d’ailleurs plusieurs articles sur mon blog qui vont aussi dans ce sens), mais elle est la plus médiatisée. 

En tant que journaliste, également féministe, on pourrait même considérer que c’est son devoir de le faire et bien des journalistes pourraient prendre exemple sur son éthique professionnelle et personnelle. Mais le métier de journaliste a perdu beaucoup en professionnalisme, et je la trouve courageuse (ce qui ne m’étonne guère) de prendre ainsi le sujet à bras le corps. C'est loin d’être facile, les incompréhensions et aussi procès d’intention ne manqueront pas. Alors merci Caroline d’avoir lancé le pavé dans la mare. 

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Productrice, journaliste, fondatrice du site laruchemedia.com et de la société de production LA RUCHE MEDIA Prod, j'ai une tendresse particulière pour la liberté et l'esprit critique. 

Et puisque la liberté n’est possible que s’il y a accès à l’instruction, il faut du temps, des instants et de la nuance pour accéder à ce savoir.
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