"Après coup", la pièce féministe qu'il faut voir cet hiver ! Entretien avec la comédienne et co-créatrice Tadrina Hocking : "Il nous importe de construire une fiction juste et au plus près des réalités psychologiques qui traversent ce sujet difficile"

Par
Yasmina Jaafar
9 novembre 2024

Des femmes sur scène. Une énergie communicative. Un spectacle écrit à quatre mains. Un sujet brulant bien mené. Voici ce que promet la pièce "Après coup", présente au Théâtre des Béliers Parisiens les dimanches à 21h, jusqu'à la fin du mois de novembre. Pensé et écrit par le duo Tadrina Hocking - Sandra Colombo et mise en scène par Christophe Luthringer, le spectacle est un drame où l'on rit. Les thèmes sont l’amitié et le déni à travers la thématique des violences conjugales. Le livre de la pièce est également disponible. Rencontre avec Tadrina Hocking :

Comment est née l'idée de votre spectacle co écrit avec Sandra Colombo ? 

Avec Sandra Colombo ma co-autrice, nous nous sommes rencontrées le soir du réveillon du 31 décembre 2016. Une rencontre qui se transforme très vite en une envie de travailler ensemble. Nous sommes toutes deux passées par la case psycho à la fac. Nous sommes aussi toutes les deux exploratrices du genre humain et de la condition féminine. Toutes les deux comédiennes, avec des envies de défendre des rôles de femmes profonds. La première séance d’écriture et nos échanges de balles suffisent à nous convaincre. Nous aimons détricoter les sujets qui nous préoccupent et l’actualité qui va de pair. Très vite nous tombons d’accord sur la nécessité d’aborder des thématiques qui sont quasiment ignorées au théâtre, surtout dans le théâtre privé, en 2017. Révoltées par la violence que subissent un grand nombre de femmes dans leur couple, nous décidons d’écrire sur le sujet.

Nous avons abordé l’écriture d’ « Après coup » en interrogeant des personnes travaillant dans le milieu associatif, en lien avec les délégations régionales aux droits des femmes et à l’égalité. Un travail complété par des recherches littéraires et audiovisuelles sur ce sujet. Il nous importe de construire une fiction juste et au plus près des réalités psychologiques qui traversent ce sujet difficile. L’intimité d’un couple, les non-dits sont autant de zones d'ombres qui ne sont pas aisées à mettre en lumière. Une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint, c’est effroyable et les chiffres n’évoluent pas, ni dans un sens ni dans l’autre. C’est de ce constat que part cette envie de « dire » et de « faire entendre », d’incarner ces femmes qui ne sont pas que des chiffres.

L’un de nos objectifs fut de comprendre la mécanique dans laquelle les femmes victimes de violences se laissent embrigader. Mais surtout au fur et à mesure du travail, et de l’évolution de l’actualité, de rester connectées à cette terrible réalité pour en être un témoin fidèle. Pour que la pièce touche un maximum de monde, nous avons choisi de traiter le sujet par le biais de la comédie.

C’est par le biais de 4 femmes, de 4 portraits que nous voulions rendre compte des symptômes, de certaines constantes que recèlent ces violences conjugales. Dans celle qui les subit et dans ceux et celles qui les côtoient. Trois femmes qui vont devoir composer avec leur vécu pour admettre et se remettre de la mort de leur amie Belinda. 

Comment est-il possible de ne pas voir la détresse d’un proche ? Pourquoi et comment nous cache-t-il son désespoir ? Comment le vit-il ? Comment accepter un drame qu’on n’a pas pu empêcher ? Peut-on l’empêcher ? Quelle est notre part de responsabilité, et quelle sorte de culpabilité en découle ? Ce texte soulève autant de questions que nous cherchons à résoudre avec ce sujet. Nous n’arrivons pas toujours à trouver les réponses. Mais quand la question se pose, le chemin d’une réponse peut commencer à exister. Ceux qui meurent dans la violence laissent autour d’eux une famille, des amies, une trace indélébile, des questions sans réponses.

Depuis quand le jouez-vous ? Et quelles évolutions avez-vous pu apporter au regard de l'actualité MeToo ? 

Nous avons commencé par jouer 4 dates au théâtre de l’Opprimé en novembre 2022. Ces 4 dates isolées nous ont permis de roder le spectacle, et d’évaluer son impact sur le public avant de faire Avignon 2023 au théâtre des Carmes, et de continuer avec une tournée en France. En octobre 2017, alors que nous étions déjà à quelques mois d’écriture, Alyssa Milano dans le sillage de l’affaire Weinstein relance #METOO créé dix ans plutôt par Tarana Burke. Même si le mouvement n’est pas tout à fait relié à la question que nous voulions traiter, nous sommes toujours restées en alerte sur les questions féminines. La nécessité de traiter les violences conjugales tout en tenant compte de l’actualité est restée fondamentale dans notre écriture.

Par exemple, lorsque nous avons commencé à écrire, il y avait un débat pour la création d’un terme juridique qui puisse enfin reconnaître les coupables de violences conjugales comme des meurtriers et non plus comme des victimes de leur passion. Aujourd’hui ce terme existe, il est entré dans le langage juridique, journalistique et courant : les féminicides. Ce terme n’était pas encore adopté au début de notre travail. Peut-on dire que dans les mentalités il est déjà inscrit ? Les choses avancent, certes, mais force est de constater au vu des derniers chiffres, qu'elles n’avancent pas assez vite. 

C'est sur fond de sujets dramatiques mais vous aviez malgré tout envie de faire rire. Comment on s'y prend ? 

Pour nous la question du théâtre trouve son sens à la fois dans le divertissement, mais aussi quand il suscite la réflexion et éveille les consciences. L’entrée dans le vif du sujet par l’intermédiaire de la comédie nous est apparue comme un moyen efficace pour s’adresser au plus grand nombre. Réussir à faire rire en traitant ce sujet dramatique est notre gageure. Le rire comme un angle d’attaque, mettre les pieds dans le plat, sans pudeur, le rire parce qu’il permet de montrer ce qu’on refuse d’accepter. Nous voulons que le sujet puisse toucher tout le monde. Et de fil en aiguille, notre réflexion se pose sur la famille, les proches, les amies. L’amitié nous est apparue comme un axe fort de réflexion et de narration dramaturgique. Comment dans notre monde aujourd’hui arrive-t-on à prendre soin les uns des autres ? Est-ce que véritablement dans un monde hyperconnecté nous y arrivons ? Plus nous sommes connectés au virtuel et plus nous nous éloignons du réel.

Pouvez-vous décrire vos méthodes de travail et les associations approchées pour être au plus près de la vérité ? 

D’abord nous avons commencé par questionner des personnes travaillant dans le milieu associatif. Nous avons aussi questionné des femmes qui ont été victimes de violence. Nous avons commencé l’écriture. Une fois arrivées à notre première version. Nous avons demandé à ces mêmes personnes si elles acceptaient de nous faire un retour sur le texte, de nous donner leur ressenti. Et puis, Sandra et moi-même, nous portons notre histoire de femmes, qui comme une majorité de femmes est parsemée d’expériences douloureuses et même parfois violentes. Nous avons lu et questionné sur les questions autour de l’emprise également pour être au plus près de la vérité.

Aujourd’hui, nous sommes en relation avec beaucoup d’associations qui accompagnent les femmes et les enfants victimes de violence. La pièce a été jouée devant des lycéen.ne.s mais aussi dans le cadre de journées de sensibilisation. Nous avons collaboré avec Arnaud Gallais et l’association BEBRAVE, les services de prévention et médiation à La Roche-sur-Yon, ainsi qu’au théâtre des Muses par l’association AVIP de Monaco, présidée par Valérie Campora-Lucas en 2023. Le réseau VIF 01 à Bourg-en-Bresse a programmé la pièce dans le cadre d’une soirée hommage aux victimes de violences. L’école des officiers de la gendarmerie de Melun nous a également programmés dans le cadre des journées PEP’s ( le rapport du Colonel Bièvre PEP’s. Nous avons été programmées au théâtre de l’Ombrière à UZES pour deux représentations, dont une devant des scolaires avec l’association CIDFF30 et Via Femina Fama en collaboration avec l’association Soroptimist d’Uzès.

Vous êtes plus grand écran ou planches ? Et quelles sont 3 vos références absolues dans les 2 domaines ? 

Mon cœur ne balance pas, j'aime les deux. Mon domaine d’expertise est le théâtre, que j’exerce avec passion, tout en nourrissant un intérêt profond pour le cinéma, qui m’inspire et m’enrichit de manière continuelle. Mes trois références absolues en cinéma sont : Ken Loach (moi,Daniel Blake), Yórgos Lánthimos (Pauvres Créatures), et Jane Campion ( La leçon de piano). Au théâtre j’ai toujours eu une passion illimitée pour le travail de Peter Brook, d'Ariane Mnouchkine et sa génialissime troupe et je me permets un petit écart, pour Pina Bausch. Un tout petit écart, car la compagnie de Pina Bausch, le Tanztheater Wuppertal est une compagnie de danse contemporaine qui a introduit la nouvelle forme de danse-théâtre.

Les sujets sociétaux dans l’art m’importent. Ils sont ce qui va me donner une vibration, un intérêt, un désir de les regarder, de m’y plonger, de m'interroger. Je suis une très mauvaise spectatrice. Si je m’ennuie, je décroche et rien ne me rattrape. Brook disait « le diable au théâtre c’est l’ennui », il faut savoir le traquer, l'étouffer, l’extirper. Savoir lier les deux est un art. Comment ne pas plonger dans le documentaire, le didactique, au théâtre au cinéma, tout en traitant artistiquement le sujet. Comment ne pas rester à plat, tout en étant au plus juste ? L’univers visuel de Yórgos Lánthimos est extraordinaire pour ça, il dépeint un monde que nous connaissons et pourtant qui n’est pas le nôtre. Il traite la question de la féminité avec fantaisie et surtout beaucoup de justesse. J’ai, aussi,  par exemple, été bouleversée par l’exposition Maurizio Cattelan « Not affraid of love » à la Monnaie de Paris. Je continue d’avoir des flashs, ses sculptures sont des miroirs qu’il nous tend et qui nous permettent d’y percevoir nos questionnements, nos fractures, nos mouvements intimes. J’ai besoin que l’art crée chez moi une prise de conscience, une ouverture sur le monde, c’est mon moteur.

Photo Une : Camille Cannet

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Productrice, journaliste, fondatrice du site laruchemedia.com et de la société de production LA RUCHE MEDIA Prod, j'ai une tendresse particulière pour la liberté et l'esprit critique. 

Et puisque la liberté n’est possible que s’il y a accès à l’instruction, il faut du temps, des instants et de la nuance pour accéder à ce savoir.
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