La productrice amoureuse du verbe et la femme de télévision publie un deuxième roman. "Les gens qui sourient ne dansent pas tous les jours" est un recueil émouvant qui traite des maux du monde, des maux intimes et de nos passions tristes. Rencontre avec une auteure pas comme les autres. Joëlle Kalfon nous parle de son livre mais pas seulement, elle revient sur notre époque et le regard qu'elle lui porte.
Après « Le jour se lève… », où vous partagiez avec le lecteur vos émotions suite à la perte de votre mari, qu'est ce qui a motivé ce nouveau livre ?
Mon premier opus, c’est une autofiction , l’histoire d’un drame, celui de perdre l’homme de sa vie et de l’obligation vitale de passer du nous au je en une fraction de seconde. C’est aussi une remontée dans le temps, des origines de mon monde, moi la petite fille des années 60 au temps des paillettes et des émotions fortes. Ce qui a motivé ce 2ème opus en quelque sorte , c’est qu’il me fallait poursuivre cette quête initiatique mais pas que, Cette suite , c’est aussi mon devoir de mémoire pour ceux qui ne sont plus là et une manière de ne pas abdiquer devant l’insoutenable lourdeur de la condition humaine. Je raconte mon parcours singulier comme un voyage non chronologique et guère monochrome. C’est mon histoire avec des drames universels et des gourdes que j’ai essayées de trouver sur mon chemin pour étancher ma soif. Mes douleurs ressenties témoignent de ma résilience et ma capacité à mettre des mots sur le dark et chercher des puits de lumière pour mieux exorciser ces malheurs et ce mal être. Evidemment, j’ai voulu que ces chroniques d’une terrienne en détresse se vautre dans un langage qui m’est propre, je joue avec les mots , c’est mon sourire affiché car trop de gens pleurent la bouche pleine et je ne mange pas de ce pain-là. Oui « les gens qui sourient ne dansent pas tous les jours » , c’est une politesse face au découragement. Je pense être gaiement désespérée mais rassurez-vous pas désespérante.
À travers le gimmick "le mal de" qui titre vos chapitres et en quasi-sociologue, vous aimez scruter les méandres d'un monde qui se replie. Quel est votre sentiment sur les conflits qui animent la planète ?
Merci d’y avoir vu la sociologue qui sommeille en moi, la journaliste que je suis vit avec et dans son temps, Sartre a dit avant moi, qu’on était forcément de son époque. Qu’on l’aime ou pas, ce 3 -ème millénaire est une porte d’entrée dans l’inconnu et nous fait douter de tout et surtout de nous-mêmes. La question est anthropique, A-t-on perdu les sens des valeurs morales comme avant la shoah ? Les prismes idéologiques nous conduisent au désarmement intellectuel et mental. Le monde est fracturé , il a besoin d’être plâtré par des GPS intellectuels qui nous montrent des routes praticables par le plus grand nombre. L’éducation est une science exacte malheureusement, elle est contrariée par des ténors en proie aux pires dérives totalitaires. Parfois, je m’autorise à penser que même l’avenir c’était mieux avant. Au-delà de cette boutade, je voudrais réanimer la flamme d’un soldat redevenu inconnu, le second degré.
L'écriture est-elle cathartique ? Ou est-ce un "strip-tease moral", expression intéressante que vous employez ?
L’écriture me permet désormais de poser un regard perché sur moi-même. Lorsque l’on écrit , il faut ignorer que des gens vont vous lire ou vous juger. C’est le garant de la sincérité et de cette mise à nu personnelle jaillira une vertu collective. J’écris donc je suis et aussi j’ai été , celle qui a souffert mais qui a aimé et a été aimée . Celle qui s’est trompée et qui a été aussi trompée. Le monde se sépare en deux catégories , ceux qui ont effectué un travail sur eux-mêmes et les autres. Mes séances sur le divan de mon monde à moi rappelleront de vifs souvenirs à tous ceux qui s’y sont allongés. Le connais-toi toi-même socratique mérite cette confrontation avec soi-même. Mon strip-tease moral n’a rien de racoleur, il me permet d’assumer mes choix qu’ils aient été les bons ou pas. Je me vautre dans cette débauche plus nombrilique que narcissique pour mieux me désentraver de tous ces cordons qui m’empêchent d’avancer. Je commence à recevoir des avis de mes chers lecteurs, ils se reconnaissent dans mes mots et mon humanité rejoint la leur. Tout cela fait sens, je veux continuer à écrire pour ne jamais perdre de vue que le pire ennemi parfois c’est soi-même. Accepter mes défauts c’est ma qualité principale (rires)
Vous commencez chaque nouvelle avec une citation d'un auteur fameux. Pourquoi cette construction et quelle est votre citation préférée ?
Cette construction a plutôt séduit les journalistes, ce sont des chroniques sous forme de chapitres thématiques et on peut lire mon livre d’une traite mais aussi et en fonction de ses envies , entamer n’importe quel chapitre et retomber sur ses pieds. Le mal est décliné sous toutes ses formes parce que le mal arrive sans prévenir et que le bonheur n’est que le chagrin qui se repose selon Léo Ferré. D’ailleurs, on pousse un cri dès que l‘on apparait sur terre. On se doute déjà que vivre c’est le plus dur métier du monde et parfois certains préfèrent rompre ce contrat à durée indéterminée car l’existence leur semble insupportable. Du mal des autres au mal de mère en passant par le mal de vivre, je mets le curseur là où ça fait mal pour y trouver des sorties de secours et ne pas rester sur les zones d’arrêt d’urgence. J ’ai choisi les mots des autres pour inaugurer chaque chronique et toutes ont ma préférence, celle qui me correspond parfaitement bien est celle d’Oscar Wilde qui n’a pas vécu au bon siècle en tant qu’homosexuel traqué et emprisonné . Je fais mienne sa définition du cynisme ; « Connaitre le prix de tout et savoir la valeur de rien »
Vos livres ne sont-ils pas une façon de transmettre un mode d'emploi d'existence face aux brutalités du monde ?
C’est un kit de survie intellectuel pour tous ceux qui veulent résister aux affres d’une société en devenir qui ne sait pas où elle va… À l’intérieur de ce monde qui marche sur la tête et qui pense avec ses pieds, il faut procéder à des analyses de sens et éliminer les mauvais cholestérols qui bouchent les artères de nos réflexions. Pour être plus concrète, je dirai qu’il faut nettoyer devant sa porte et sortir de l’entre-soi, de l’antre-soi, même, car cela constitue une fausse zone de confort. Il faut se dégager du carcan des algorithmes où toutes les valeurs communes sont ôtées pour cause de communautarisme exacerbé. Je prêche pour toutes les paroisses et j’en ai marre d’être essentialisée pour celle que je suis de par mes origines. Je prône le mélange et je bannis tous les séparatistes qui ont pignon sur les tribunes et qui veulent nous diviser pour mieux nous diriger. Ce livre évoque ma liberté de penser mais pas au détriment de celle des autres. Je suis une assignée à la résilience et non à la résidence de mes ancêtres. La haine des juifs n’avait pas disparu, elle ne s’est jamais aussi bien portée. Honte à ceux qui se complaisent dans cette dérive, ils sombreront très prochainement du moins je l’espère de tout mon cœur.
Quel est votre prochain projet littéraire ?
J’ai l’intention de faire paraitre un troisième opus si le comité de lecture le valide, Ce sera ma trilogie parisienne, et il parlera de mes histoires d’amour à travers mes différents âges. « les hommes qui passent » c’est son titre et ce sont des chroniques sentimentales dans lesquelles la gent féminine tout autant que masculine pourra y puiser des sources d’inspiration et se reconnaitre dans ce miroir tendu à la plus précieuse des sensations , celle d’aimer et d’être aimé. Chut, ne le dites à personne mais je l’avoue, je suis une amoureuse de l’amour.
Joëlle Kalfon et les éditions Les Impliqués organisent une signature le 12 novembre à 19h au 21 bis rue des Ecoles 75005 Paris.