Hanane Harrath est journaliste pour la chaîne marocaine 2M. À la tête de deux émissions, elle a interrogé le président Français à l'occasion de sa visite officielle. Auparavant, journaliste en France, nous avons rencontré Hanane Harrath pour mieux connaitre son parcours. Elle nous confie également son sentiment sur ce que signifie être "femme" et "journaliste" au Maroc en 2024 :
Vous avez commencé votre vie professionnelle en France. Que vous procure le fait d'interroger le Président Emmanuel Macron lors de sa visite officielle à Rabat en octobre dernier ?
J’ai vécu ce moment avec beaucoup d’apaisement, car pour la petite fille qui avait grandi en France mais qui l’avait quittée parce que les opportunités professionnelles y étaient limitées, pouvoir, depuis son pays d’origine, interviewer le président de la république était symboliquement très fort. Et le faire dans un moment historique de réconciliation entre les deux pays a ajouté de la joie à ce moment si particulier, sur le plan professionnel comme personnel.
Que répondez-vous à ceux et celles qui invoquent le terme de "revanche" ?
Qu’il n’y a pour ma part aucun sentiment de revanche, car la revanche induit qu’il y ait, à sa racine, de la colère ou de la frustration. Or, je ne ressens ni l’une ni l’autre. J’ai quitté la France car j’avais une opportunité professionnelle, qui est venue répondre à un désir profond que j’avais aussi de venir un jour travailler au Maroc pour voir ce que je pouvais y apporter mais aussi en apprendre. Tout cela m’a conduit à me découvrir davantage, à m’ancrer dans la complexité propre à ceux qui ont vécu entre plusieurs pays et plusieurs langues, et à chérir cette complexité. J’ai eu au contraire un sentiment de gratitude immense de pouvoir, grâce au parcours scolaire que j’ai eu en France, interviewer, pour le Maroc, le président de la république ! Je dois tant à ces deux pays, et j’ai eu le sentiment de leur rendre un peu à chacun tout ce qu’ils m’ont donnée. Donc, non, vraiment pas de revanche, mais au contraire beaucoup de gratitude.
Que signifie être "femme" et "journaliste" au Maroc en 2024 ?
Il y a toujours eu, en tous les cas autant que je m’en souvienne, des femmes journalistes remarquables au Maroc : pour n’en citer que quelques-unes, je pense à Touria Souaf, grand reporter et première femme à présenter le JT, je pense à Fatima Loukili qui nous a quittés récemment et a été la première femme à animer une émission politique, je pense à Samira Sitaïl, qui a réalisé des entretiens avec de grandes personnalités et fut directrice de l’information à 2M. Je fais le vœu aujourd’hui que d’autres jeunes filles aient envie d’embrasser cette vocation, et puissent la pratiquer avec rigueur, exigence, et en croyant d’abord en leurs capacités intellectuelles. Cela me désole de le dire, mais avec la dictature des réseaux sociaux, l’image prime de plus en plus sur le travail. J’ai envie de dire aux jeunes filles qui veulent exercer ce métier de se défaire de cela, leur dire que la seule chose qui doit être « bien faite », c’est ce qu’il y a dans leur tête. Si on ajoute à cela de la passion et de l’humilité, elles peuvent conquérir le monde.
Vous avez pu interroger différentes personnalités. Lesquelles vous ont surpris tant par leur parcours que par leurs valeurs ?
La liste est longue ! J’ai l’immense chance de pouvoir rencontrer des gens incroyables, qui font des choses qui forcent le respect et l’admiration, et devant lesquels on se sent si petits. Me revient en mémoire le Dr Hennou, la première femme médecin au Maroc, qui m’a emmenée dans la région de Oulmès où elle a grandi sous des tentes car sa tribu était nomade, et où elle a ouvert aujourd’hui un pensionnat pour permettre à des petites filles de milieu rural de poursuivre leur scolarité. Il y a aussi eu l’ancien capitaine du XV de France, Abdellatif Benazzi, ce « géant aux pieds d’argile » comme il se définit lui-même, qui m’a reçue à Oujda, qui est d’une sensibilité et d’une générosité rares, qui m’a présenté sa maman algérienne, puis parlé de l’association qu’il a créée pour ouvrir une école maternelle au milieu des montagnes, en milieu rural. Et puis, je pense aussi au philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne que je suis allée voir à Dakar, et dont la pensée sur des sujets comme l’islam contemporain, le développement de l’Afrique, la question migratoire ou le passé colonial, sont empreints d’un humanisme et d’une bonté qui touchent le cœur en même temps qu’ils nourrissent l’esprit.
Avez-vous des références ou des modèles en journalisme ?
Petite, j’avais une admiration totale pour Anne Sinclair. Je ne ratais jamais son émission dominicale « 7 sur 7 », car j’étais fascinée par cette femme au regard pénétrant qui pendant 52 minutes, discutait avec des responsables politiques et des chefs d’État. Je ne comprenais pas tout, évidemment, mais j’étais aimantée par cette émission. Plus tard, j’ai aussi découvert Christiane Amanpour, à laquelle j’ai aussi rêvé de ressembler. J’ai aussi énormément de respect et d’admiration pour Florence Aubenas, je trouve ses livres d’une justesse, d’une pertinence, et d’une humanité incroyables, sans compter leur qualité littéraire. Elle m’a donné le goût des reportages sur du temps long, ceux qui prennent le temps de s’installer dans un sujet, de le vivre sur une longue durée, pour vraiment le saisir. Je suis en train de finir « Là où la terre ne vaut rien », un livre du journaliste américain Ted Conover, qui est parti s’installer durant 4 ans dans une vallée du Colorado habitée par des exclus de la société (des vétérans, des toxicos..), pour saisir cette société-là, marginale, pleine de contradictions, qui permet de comprendre ce qu’on appelle « l’Amérique profonde » et pourquoi un homme comme Trump peut devenir président. A l’heure où l’information va tellement vite, où le débat a remplacé l’écoute et la compréhension, je trouve que ces formes de journalisme sont salvatrices, et ce sont celles que je lis ou regarde et admire le plus aujourd’hui.