L'aventure Eloquentia est née il y a environ cinq ans dans l'esprit de Stéphane de Freitas, qui a réalisé le documentaire A voix haute. Stéphane a grandi en Seine-Saint-Denis, puis a fait des études de droit à Paris. Il a ressenti à la fois l'importance pour la jeunesse de créer du lien social et le rôle déterminant de la parole dans ce lien. C'est ce qui l'a poussé à créer, à l'université Paris 8 Saint-Denis, d'abord un concours d'éloquence, puis, depuis 2013, une formation à la prise de parole en public.
Je connaissais Stéphane depuis longtemps, et j'ai été très heureux qu'il me propose de faire partie de cette aventure. Je suis frappé du décalage qui existe aujourd'hui entre l'importance de la communication et l'absence quasi-totale d'enseignement de l'expression orale dans notre système scolaire. Or maîtriser les codes de la parole, c'est indispensable pour s'insérer, professionnellement et socialement. Ca l'est encore plus pour les jeunes issus de quartiers dits "difficiles", qui doivent lutter contre tous les déterminismes. Pour eux, plus encore que pour d'autres, bien parler, c'est une question de survie.
Eloquentia est d'abord une aventure humaine. Les étudiants sont incroyablement attachants. Il y a chez eux une détermination, une envie d'apprendre, une sensibilité, une énergie, un enthousiasme tout à fait hors du commun. J'y ai rencontré des personnalités exceptionnelles, riches, diverses, avec des parcours parfois chaotiques qui donnent à leur parole une densité incroyable, une forme d'urgence. Et puis des jeunes très timides, très inhibés, se sont progressivement ouverts à une parole libre, sincère, convaincante, sous toutes ses formes, que ce soit du slam, de la poésie, du théâtre, du discours, ou un mélange de tout cela. Eloquentia s'efforce de faire voler en éclats tous les clichés sur les concours d'éloquence, qui sont souvent un peu compassés ou artificiels. Il y règne aussi un véritable "esprit de famille", entre les jeunes, les formateurs, les organisateurs. Nous sommes tous animés par un même attachement aux mots, à leur force mais aussi au plaisir qu'ils procurent. Les moments forts que nous partageons nous soudent. Et bien sûr, pour répondre à votre question, c'est aussi pour moi l'occasion de leur parler un peu de mon métier, et avec les autres confrères qui participent à Eloquentia, on n'exclut pas d'avoir suscité quelques vocations !
Pour beaucoup d'entre nous, bien sûr ! Mais pour moi, pas spécialement. C'est venu un peu sur le tard, par les hasards des études et des opportunités. C'est un métier merveilleux, parce qu'on est d'abord là pour porter la voix des autres, et parfois pour porter la voix de ceux qui n'en ont pas, ou qui n'en ont plus, parce que la vie les a trop chahutés.
J'explique dans le documentaire que j'ai d'abord eu avec les mots un rapport assez conflictuel. On ne s'aimait pas beaucoup, eux et moi ! Et puis je me suis dit qu'il fallait quand même que je les apprivoise, car je ne pouvais vivre sans eux, surtout si j'envisageais de devenir avocat. Je me suis donc inscrit à des concours d'éloquence, un peu comme une sorte de thérapie ! Il n'en existait pas vraiment à l'université quand j'y étais, je les ai donc passés plus tard, lorsque j'étais jeune avocat. Je me suis en particulier présenté au concours de la Conférence du Stage du Barreau de Paris et j'ai eu le bonheur d'être parmi les douze lauréats qui y sont désignés chaque année. Pendant un an, avec mes camarades de promotion, j'ai donc participé, puisque c'est le "prix" que l'on gagne, à la défense pénale d'urgence, devant les juges d'instruction, les cours d'assises, aux comparutions immédiates. Par la suite, j'ai continué à m'investir dans les formations et concours d'éloquence. Cela m'a permis de faire des rencontres qui ont totalement renouvelé mon rapport aux mots, et en particulier celle de Marc Bonnant, ancien Bâtonnier de Genève, qui est pour moi un mentor déterminant, et qui m'a notamment sensibilisé, à la fois par son exemple et par ses conseils, à l'importance de l'improvisation, de la spontanéité dans l'art oratoire. C'est aussi ce message que j'essaie de transmettre à Eloquentia.
Bien sûr ! Nous préparons d'abord la soirée de lancement, qui aura lieu le 5 décembre prochain à 20 heures à Paris 8. Il y aura plein de magnifiques surprises et on vous y attend nombreux ! Nous préparons aussi la formation, qui aura lieu en janvier-février et pour laquelle les auditions de sélection auront lieu le 10 décembre. Par la suite, on s'attellera au concours !
Il y a déjà des antennes Eloquentia à Nanterre ou à Limoges. La projection du documentaire a fait naître des vocations. Nous avons créé un comité d'organisation pour chapeauter et encadrer les initiatives locales, qui sont évidemment les bienvenues. Plus la parole pourra essaimer pour favoriser le vivre-ensemble, plus nous serons heureux !
Yasmina Jaafar