Le confinement est questionné sur son utilité. Qu'en pensez-vous ?
Il est difficile de critiquer une mesure qui a, d’après moi, joué un rôle clef dans la réduction de la circulation virale. Même si la valeur des modèles peut être discutée, certains suggèrent que 60.000 vies auraient été sauvées. Les pays qui ont retardé la mise en place du confinement, comme la Grande-Bretagne ou ont fait délibérément le choix de ne pas mettre en place cette mesure, comme la Suède, en payent aujourd’hui les conséquences. Ainsi, l’épidémie est active en Suède et le taux de mortalité par million d’habitants (490) a dépassé celui de la France (450). Malgré de nouveaux débats sur la sensibilité des populations au virus, le SARS-CoV2 reste dans son comportement très classique des virus enveloppés à transmission respiratoire, comme le virus de la grippe. A ce titre, l’ensemble des mesures de protection et de distanciation - dont le confinement est l’expression ultime - ont fait leurs preuves en France et ailleurs. Cette efficacité ne doit pas minorer des impacts négatifs d’ordre psychologique, économique ou social, notamment pour les populations les plus fragiles.
Avons-nous vécu sous le régime de la peur ?
Près de 30.000 morts directement imputables à l’infection en quelques mois, une mortalité indirecte qui reste à évaluer - notamment pour des retards de soin - des fragilités révélées dans une société qui n’a pas la culture du risque ni celle de l’anticipation du pire, des menaces sociales et économiques majeures et durables… comment ne pas avoir peur ? La réponse institutionnelle et certaines polémiques pseudo-scientifiques, notamment sur la question des masques ou de l’usage de l’hydroxychloroquine, n’ont rien fait pour rassurer. Comment ne pas avoir généré, notamment chez celles et ceux qui avaient oublié que la menace d’une pandémie n’existe pas qu’au cinéma, une peur qui vient du fond des âges et somme toute, de notre ignorance d’une infection virale que nous découvrons en temps réel.
La peur n’évite pas le danger, nous avons pu le vérifier. Je crois que la vraie question sera de savoir si nous avons fait de cette peur quelque chose de positif ou si elle a été instrumentalisée, à bon ou mauvais escient. Personnellement, je considère que cette peur aura motivé un intérêt pour le risque infectieux et sa maitrise, et qu’elle aura contribué à motiver les gestes barrières les plus élémentaires notamment en matière d’hygiène. On peut penser enfin que la plupart d’entre nous a assimilé que les comportements individuels – en infectiologie – ont des conséquences collectives.
Les restaurants en zones oranges peuvent accueillir hors terrasses leurs clients à compter du 21 juin. Êtes vous rassuré ?
En partie. Je suis d’abord rassuré par la reprise d’une vie sociale dont nous avons cruellement manqué, je le constate chaque jour quand je vois le plaisir qu’ont les enfants à se retrouver même pour aller à l’école, ou quand on retrouve les sourires aux tables des terrasses. D’un point de vue virologique, les indicateurs sont bons si l’on s’en tient au nombre de cas détectés ou hospitalisés, ou aux quantités très faibles de génome viral détectées dans les eaux usées, un indicateur complémentaire. Les espaces confinés – comme les restaurants - resteront dans tous les cas des zones à risque de circulation virale, étant entendu que l’on voit mal comment y appliquer l’ensemble des gestes barrières et des mesures de distanciation sociale.
Nous devons faire notre chemin sur une étroite ligne de crête entre risque sanitaire et perte de nos repères sociaux.
La pandémie est-elle désormais maîtrisée ? N'allons-nous pas trop vite ?
Tous ont compris que nous sommes actuellement dans une période d’incertitudes et d’arbitrages relatifs entre risque sanitaire, risque économique et risque psychologique. Beaucoup, et les populations les plus précaires notamment, viennent de traverser une terrible épreuve dont les conséquences sont loin d’être connues avec précision. Dans ce cadre, le déconfinement aura de nombreux aspects positifs s’il s’accompagne d’une certaine vigilance.
En France métropolitaine, les indicateurs virologiques (recherche du virus par RT-PCR) sont globalement bons mais la recherche du virus se limite en général aux personnes présentant des signes évocateurs de COVID-19 et aux sujets contacts, une démarche qui interroge lorsque l’on sait que la plupart des porteurs du virus ne sont pas symptomatiques ou qu’ils auront des signes mineurs qui ne les inciteront pas nécessairement à se faire tester. Il faut donc être attentif à ne pas écarter de la surveillance ceux qui sont dans l’angle mort du système de santé, les plus précaires notamment. La situation épidémiologique à Mayotte et en Guyane reste quant à elle préoccupante.
Si la situation en France s’est nettement améliorée, comme en Espagne ou en Italie, rappelons toutefois que ce n’est pas le cas partout ailleurs. Un contrôle à l’échelle mondiale (pandémie) est donc difficile à imaginer à court terme et sans vaccin : l’épidémie est notamment très active au Brésil, en Inde, au Mexique, en Iran ou encore en Afrique du Sud. Cette situation expose tous les pays qui contrôlent l’infection à des risques de ré-introduction. Par ailleurs, le virus circule encore et nous devons nous préparer à un rebond épidémique possible quand les conditions météorologiques (temps froid et sec) redeviendront favorables à la circulation des virus enveloppés à transmission respiratoire (grippe et autres coronovirus bénins par exemple).
Pouvons-nous rappeler que la jeunesse n'est pas invincible ou vraiment existe-t-il une partie de la population qui ne risque rien ?
Le bulletin de Santé Publique France du 11 juin confirme que plus de 92% des décès ont été enregistrés chez des patients de 65 ans et plus. Dans 66% des cas, des facteurs de comorbidités ont été identifiés (hypertension artérielle et pathologies cardiaques notamment). Nous restons donc globalement, même si des formes graves ont été rapportées chez les jeunes, sur une pathologie dont la gravité s’exprime dans des contextes particuliers et qui touche peu les adolescents ou les jeunes adultes. Ces derniers sont toutefois sensibles à l’infection – le plus souvent sous une forme asymptomatique – et ils sont des vecteurs actifs dans la circulation du virus. Il est vraiment nécessaire de les responsabiliser sur le risque qu’ils peuvent faire courir aux plus fragiles.
Les enfants sont peu touchés par la COVID-19 (moins de 1% des patients hospitalisés et des décès). Ils ont été l’objet d’une attention particulière après le signalement de possibles complications post-infectieuses rares (une maladie proche du syndrome de Kawasaki, que l’on désigne maintenant sous le terme de syndrome inflammatoire multi-systémique pédiatrique ou PIMS). Au 9 juin 2020, 187 signalements de PIMS, dont un décès, ont été rapportés. Près de 70% auraient un lien avec une infection à SARS-CoV2. S’ils ont beaucoup inquiété les parents, ces cas restent très rares et les traitements sont efficaces.
Les vacances approchent. Le SARS-CoV2 existe-t-il dans les lacs, dans les piscines ou dans la mer?
La circulation du virus dans l’environnement est une problématique sur laquelle nous avons rapidement attiré l’attention des pouvoirs publics et des opérateurs en charge des réseaux d’assainissement, en France et ailleurs dans le monde. La détection du génome viral dans les eaux usées reflète la présence du virus dans le tube digestif de près de 40% des personnes infectées. Nous coordonnons actuellement le déploiement d’un réseau de surveillance national (réseau OBEPINE) visant à quantifier le génome viral dans les eaux usées, mais également dans l’eau de mer, les eaux à usage récréatif, les mollusques d’eau douce et les mollusques de consommation. La fragilité des particules virales, le délai entre l’émission des selles par les porteurs et l’arrivée du virus dans les stations d’épurations, puis dans les eaux de surface (plusieurs jours) et leur très forte dilution nous laissent penser que le risque infectieux est excessivement faible. Nous essayons toutefois d’en apporter la preuve. Dans tous les cas, il est important de rappeler que les eaux potables sont traitées de façon à écarter tout risque infectieux, notamment lié au SARS-CoV2.
Nous arrivons bientôt à la phase 3 semaines de déconfinement. Avez-vous trouvé les Français assez prudents ?
J’ai été impressionné par le comportement des français au regard des contraintes qui leur ont été imposées durant le confinement. C’est d’autant plus notable qu’ils ont été exposés dans le même temps à une communication scientifique, médicale voire institutionnelle parfois très chaotique et de fait anxiogène. Le déconfinement – progressif et sous condition – était indispensable. Les enquêtes montrent qu’il y a une double évolution dans l’application des mesures de protection : si le port du masque en public est de mieux en mieux assimilé, les mesures de distanciation physiques sont quant à elles de moins en moins respectées. L’enquête CoviPrev à laquelle je me réfère associe ces changements de comportement, pour partie, à une moindre prise en compte du risque sanitaire au regard des contraintes qui sont imposées à la population. Il faut reconnaître que les mesures proposées constituent parfois - dans les bureaux, les commerces et la restauration notamment - un véritable casse-tête. Je reste étonné par l’intelligence collective en action qui a su s’adapter en proposant des solutions surprenantes. La France n’a toujours pas de pétrole, mais elle a toujours autant d’idées.
L'hiver arrive dans les pays du Sud comme le Brésil qui connaît ses heures sombres. Est-ce que le climat joue un rôle dans cette pandémie ?
C’est une question qui est activement débattue parmi les scientifiques. Dans tous les cas, relier la réduction de l’épidémie à l’arrivée de l’été en France est trop réductionniste tant il apparaît que de multiples facteurs modulent la circulation du virus et son impact. Le coronavirus appartient à une famille dont 4 représentants bien connus ont effectivement un comportement saisonnier, avec un pic hivernal. Les temps froids et secs seraient propices à la circulation des virus respiratoires pour plusieurs raisons : une fragilisation des voies respiratoires propice aux infections, un « auto-confinement » plus important par temps froids et, éventuellement, une résistance accrue de la particule virale. Considérant que le virus se transmet préférentiellement par contacts rapprochés entre individus, l’hypothèse d’un effet des UV solaires sur le virus me semble fragile. Dans tous les cas, si le virus continue de circuler durant l’été, l’entrée dans l’hiver fera l’objet d’une vigilance accrue. Il faut toutefois tempérer un discours parfois trop alarmiste : ceux qui ont été infectés lors de la première phase épidémique pourront sans doute bénéficier d’une immunité protectrice ; par ailleurs, les gestes barrières et le port du masque sont mieux assimilés, et nous pouvons espérer qu’il n’y aura plus de pénurie. En conclusion, nous serons dans une meilleure configuration pour affronter une éventuelle seconde vague.
Quelle est la fiabilité des tests sérologique ? Peuvent-ils constituer un Passeport d'immunité ?
Les tests sérologiques permettent de rechercher les anticorps dirigés contre le virus. Ces anticorps apparaissent le plus souvent dans les semaines qui suivent l’infection, et un nombre grandissant d’études suggère qu’ils sont protecteurs, même si la durée de cette protection n’est pas encore connue.
Les tests validés en France ont fait l’objet d’études techniques très sérieuses, ce qui a pu contribuer à des délais importants dans leur mise sur le marché. Ces tests visaient notamment à réduire le taux de faux positifs (résultat positif chez une personne qui n’a pas été infectée) et de faux négatifs (résultat négatif chez quelqu’un qui a été infecté), des paramètres qui tiennent autant à la qualité du test qu’à la façon dont il est fait.
On distingue aujourd’hui les tests « automatisables » de type ELISA, faits en laboratoires, les tests individuels réalisés sous supervision d’une personne compétente, et les tests réalisés hors de tout cadre médical. La question du résultat du test est intimement liée à la question posée : soit il s’agit de faire des études épidémiologiques de grande ampleur, sans conséquence directe pour les participants mais très riches d’information pour dessiner le portrait de l’épidémie, soit il s’agit d’associer au test une réponse qui peut éventuellement induire un changement de comportement chez le sujet testé. Dans ce second cas, toutes les précautions d’usage doivent être prises. Il est essentiel à mon sens que les résultats des tests ne soient pas utilisés de façon coercitive, notamment pour imposer aux employés d’une entreprise de reprendre leur poste ou de rester à la maison. A ce titre, la question d’un passeport immunitaire continue – à juste titre – de poser des questions d’ordre éthique. A l’opposé, je pense qu’il est essentiel de mener des études séro-épidémiologiques pour affiner notre compréhension de l’épidémie : est-ce que certains professionnels – hors contexte médical - ont été plus exposés au virus ? Est-ce que le virus a circulé plus activement dans les populations précaires ou marginalisées ? Quels sont les personnes fragiles qui n’ont pas été exposées et peuvent faire l’objet de mesures de surveillance plus importantes ?
PAR YASMINA JAAFAR