Depuis Cannes 2014, je palpite à l'idée de l'avant-première parisienne du film de Céline Sciamma, "Bande de filles". En attendant, j’affiche fièrement en couverture Facebook, la photo panoramique des actrices, Karidja Touré, Assa Sylla, Lindsay Karamoh et Mariétou Touré et de la réalisatrice. Toutes avançant sur le tapis rouge cannois !
L’univers de Céline Sciamma fusionne avec un casting exclusivement noir qui éveille ma curiosité. La bande-annonce énigmatique finit d'achever ma patience !
Déterminée, je cherche les agendas des projections. Enfin, j’assiste à l’avant-première au Ciné 104 à Pantin, entourée d’un public bobo au reflet d’une ville en pleine mutation. J’étais pourtant persuadée que cela provoquerait un engouement d’un public local et ciblé ne pouvant que s’identifier à une affiche clivante voire segmentante. Mais...
Dès les premières images, on est pris par les gros plans, par l’esthétique de la réalisation, par la direction photo et par la mise en scène quasi chorégraphique du tableau d’exposition. Force est de reconnaître le talent de Céline.
Pas de « spoiler », que du ressenti. Deux parties en moi s'affrontent : la spectatrice et la réalisatrice ont parfois des avis contraires.
Les quatre actrices sont fascinantes ! J’ai un coup de cœur particulier pour l’actrice Assa Sylla, la chef de bande qui interprète Lady ! Bien que l’héroïne principale, Karidja Touré, offre une palette de jeu fascinante dans le rôle complexe de Marieme/Vic. Elle est à la fois pudique, forte et attachante…
La trajectoire des personnages est particulière voire inédite en fiction. Le traitement n’est pas misérabiliste et les issues sont surprenantes. Entre réalité et situations fantasmées, le tout fonctionne avec une interaction bien coordonnée des protagonistes. Un clin d’œil à la narration de la série The Wire vient épicer le tout.
Bien que subtilement saupoudré, le poids de la culture religieuse et des traditions n’impacte pas sur les personnages. Suggéré sans jamais l'aborder... Certains dialogues et situations perdent en crédibilité seulement si l'on est attaché à ces problématiques sociétales...
Je regrette le buzz fait autour de la séquence "Rihanna". C'est réducteur. On se doute que la distribution a vu, là, une mise en avant de communicant. Passons... Quoi qu'il en soit, Céline Sciamma a tué dans l'œuf une non-vérité : "Il n’y pas d’actrices noires. Elles ne savent pas jouer. C'est dur d’en trouver !". Preuve est faite que la relève est assurée…
Je suis d’une génération différente de celle décrite dans le film et je reste étonnée de voir qu’en 20 ans, tant au niveau social et comportemental, rien n’a vraiment tellement bougé. Les médias et les réseaux sociaux amplifient certains phénomènes sociaux mais qu’on se détende... la criminalité féminine stagne ! Il n’existe aucun phénomène de gang féminin massif en France.
A la sortie de la projection, l’émotion est vive. Une petite frustration peut même se dessiner : on connaît la difficulté de terminer une œuvre.
"Bande de filles" n’est pas un film pédagogique sur le non-phénomène de gang ou des filles de banlieue, mais c'est une travail universel sur l’identité, l’amitié, le genre et le sens de la vie. Thèmes chers et récurrents de la réalisatrice de "Tomboy".
On espère que le public n’ira pas voir le film dans l’espoir d’y trouver une réponse sociale et éducative. On manque cruellement d’œuvres innovantes et de propositions de ce genre, mettant en scène des héroïnes contemporaines et urbaines aux horizons différents. Nous sommes ici loin, très loin de "Aïcha" de Yamina Benguigui ou encore du succès télé réalisé par Daniel Vigne "Fatou, la malienne".
Je souhaite que "Bande de filles" dépasse le million et soit le premier d’une longue série à oser prendre des risques et ouvrir la porte à de nouvelles actrices noires.