C'était la volonté de faire partager ma découverte de cette jeune fille, sa place dans les évènements, et le rôle des femmes dans ce mouvement des droits civiques.
Ce qui intéressant c'est que cette histoire est très récente, 60 ans et que le fait d'avoir élu un président noir n'efface pas le terreau sur lequel s'est construit l'accès à la citoyenneté américaine des noirs. Le passage du statut d'esclave à celui de concitoyen est un saut dans la relation entre blancs et noirs qui continue à faire écran à la façon dont les noirs et les blancs s'envisagent. Lorsque Martin Luther King place le geste de Rosa Parks comme la revendication d'une citoyenne américaine plutôt que celle d'une noire, il oblige les américains blancs à se mettre à la place d'une femme, pas d'une noire, il les force à la regarder comme si elle était eux. Ça m'a semblé être le postulat qui devait guider l'écriture de ce livre parce que nous sommes noyés sous des discours communautaristes et racistes qui ne cessent de réduire les uns et les autres à des particularismes si restreints qu'ils nous font perdre de vue nos nombreux dénominateurs communs. Or, si nous ne nous reconnaissons plus dans l'autre, si la compassion n'existe plus, c'est notre qualité intrinsèque d'être humain qui disparait et nous devenons alors ce que le racisme veut faire de nous, LE noir, LE juif, LE musulman...
Pas à charge mais je voulais montrer que tout mouvement politique répond à des stratégies et que ces stratégies se pensent parfois au mépris des personnes.
Oui, de fait puisque les femmes dont je parle sont dépendantes des hommes et que bien qu'étant à l'origine des actions, elles disparaissent pour leur laisser la place. Mais ce qui est fascinant c'est leur énergie, leur volonté implacable, qui forcent les hommes à prendre le mouvement en route pour ne pas se laisser distancer.
Pas de crier mais de proposer une façon différente de s'envisager, en rupture avec les discours cyniques, racistes ou paranoïaques dont nous sommes abreuvés depuis quelques années à longueur de journée parce qu'ils sont télégéniques et que la peur c'est bon pour l'audience. Par exemple, voir que le livre d'Eric Zemmour s'est vendu à autant d'exemplaires m'a littéralement consternée.
Malheureusement je n'ai pas d'info sur l'avenir mais comme il passe par chacun de nous, continuer à forcer le regard pour qu'il dépasse la couleur ou la religion me parait être une bonne feuille de route. Et je vois aussi que les gens se mélangent beaucoup, beaucoup plus que lorsque j'étais enfant, ils se marient, ils font des enfants, et c'est un indicateur essentiel parce que le mouvement qu'il entraine est implacable. Il me semble d'ailleurs que ces poussées racistes et communautaristes soient une réponse à ce mélange, l'expression d'une peur de se perdre, de se diluer .
Ce qui est intéressant avec ce film et encore plus dans le livre tiré du film et écrit par le réalisateur Justin Simien (livre très drôle j'espère qu'il sera traduit) c'est qu'il explore les préjugés chez les blancs et chez les noirs. Ils montrent bien ce que les uns et les autres imaginent qu'ils doivent être. C'est toute la perversion du racisme et toute la lutte interne que vit un noir qui ne souhaite pas être LE noir.
Obama est un président américain et le fait qu'il soit noir ne lui donne en aucun cas l'obligation d'être parfait ni même irréprochable. Ce serait avoir une vision raciste que de considérer que parce qu'il est noir, il représente tous les noirs et doit être impeccable sous peine de nous faire du tort à tous. Ce qui est certain, en revanche, c'est qu'il crée un précédent et qu'on sait désormais qu'un président peut être noir sans pour autant qu'une pluie de sauterelles s'abattent sur le monde et que les guerriers de l'Apocalyse descendent sur terre, c'est une menace que les complotistes de tous bords ne pourront plus brandir, c'est déjà ça. Pour le reste, l'histoire dira ce qu'elle retiendra des mandats d'Obama.
Yasmina Jaafar