Acte 2 du confinement. Lundi 13 avril le Président a enfin donné une date sonnant l’amorce du déconfinement,, une date "objectif", un horizon : ce sera le 11 mai. Les français soufflent. Mais un mois, c’est long. Depuis le 17 mars, ils ont commencé à s’organiser, à créer des échappées virtuelles dans des espaces réels devenus trop étroits. Alors pourquoi ? Oui, pourquoi le Dj Bob Sinclar, représentant mondial de la French touch, amoureux de funk, de disco et de house, donne-t-il rendez-vous chaque jour sur Facebook, pour une heure de mix, à des milliers de gens dans le monde, faisant partager sa passion ? Pourquoi l’Orchestre National de France fait-il un concert du Bolero de Ravel sur Youtube, offrant aux spectateurs une prouesse musicale inédite ? Pourquoi le comédien Fabrice Lucchini prend-t-il le temps quotidiennement de lire sur Facebook une fable de la Fontaine, clamant de sa voix d’érudit, les plus beaux textes de l’auteur ? Et ces anonymes …. pourquoi ce jeune papa, confiné seul avec son fils, fait-il des vidéos drôles de leur quotidien sur Facebook pour ses amis ? Pourquoi ce photographe amateur livre-t-il sur Instagram chaque jour au public les plus beaux clichés de ses archives, avec ce hashtag « #la vie avant le virus »? Pourquoi cette jeune adolescente, qui quotidiennement pose devant la porte d’entrée de sa vieille voisine les courses qu’elle a faite pour elle, poste-t-elle une photographie de son geste sur Snapchat en nous encourageant à faire pareil ? La liste est longue… et tous ces petits riens partagés, tous ces moments de vie volés, circulent et sont vus journellement.
Ces confinés ont décidé de publier des posts qui nous racontent leur humanité, leurs petites histoires, leurs talents connus ou cachés . Ce, parce que nous sommes collectivement traumatisés, angoissés, sidérés, parfois même déprimés, et que nous avons besoin de ces moments pour ne plus avoir à penser, le temps d’un post. Ce sont des rayons de lumière dans la tranchée de la pandémie qui nous font oublier. Cette envie, ce besoin de partager, d’échanger sur les réseaux sociaux sont devenus un moment d’évasion indispensable, une possibilité de souffler un peu face à notre impuissance, face à notre incompréhension d’une situation devenue incertaine, notamment sur l’avenir. Une évasion aussi, face à ce devoir de se tenir informé du nombre de contaminés, de morts et à trembler pour ceux et celles qui luttent sur le terrain pour sauver ou maintenir nos vies.
Nous sommes collectivement dépassés et, au cœur de cette période difficile, nous avons besoin de sentir plus que jamais la « communauté humaine ». Alors, si chaque jour sur nos écrans de télévision, nous voyons le pire, nous avons également envie de voir le meilleur chez l’Autre. Nous regardons cette humanité qui s’exprime parce qu’elle nous fait entrevoir les nuances, dans le sens le plus social, de la complexité humaine.
Ce que nous regardons dans ces posts, c'est l'image de l’espoir. L’espoir diminue la peine et il est contagieux comme le rire. L’espoir a les yeux brillants de chacune de ces personnes qui essaient de partager ce qu’ils savent faire de mieux. C’est infiniment plus efficace que les discours. Ces partages n’ont besoin d'aucune fabulation, d'aucun décor, d'aucun transfert pour faire vrai. Chacun de ces moments sont une géométrie de joies simples qui font du bien.
Ces posts réussissent à s’imposer car ils offrent une lecture immédiate de l’intériorité d’une personne, d’une expression, d’une sensibilité. Rien d’arrogant, rien de ridicule, que des petits combats du quotidien contre la pandémie, contre l’enfermement forcé, une espèce d'envolée dont l'enjeu est de ne pas se laisser aller à l’abattement. Ces initiatives ont, au fond, toutes la même finalité : résister. Aussi, si certains trouvent cela hors-propos, tant pis, tant que cela fait du bien à d’autres. Face à la souffrance, c’est une petite victoire de la vie. Ces posts font penser à une fantasia gigantesque sur les réseaux sociaux qui brasse, pêle-mêle, des publics très différents. Peut-être est-ce une fureur psychique à vouloir continuer, continuer de respirer ? Ce fortuite touche même certains dans leur vocation spirituelle, comme ce prêtre italien qui a activé malgré lui, les filtres Facebook live en pleine messe, et qui a ri de faire un tel buzz sur les réseaux sociaux. Il y a toujours du bon dans les fantaisies humaines. Elles ne sont pas déraison mais foudroyante lucidité à devoir vivre.