Dans ces affaires, l'émotion prend le pas. Le recul et l'analyse ne semblent pas aller de soi. Nous avons voulu en savoir plus, aller plus loin et comprendre le consentement fixé à 13 ans et qu'engendrerait l'imprescriptibilité des crimes sexuels. L'avocate Caroline Mecary répond :
Il y a eu un an entre la parution des livres de témoignage de Camille KOUNCHER et de Vanessa SPRINGORA. Aujourd'hui, la fille de Richard Berry, Coline Berry, porte plainte contre son père pour viol. Cette volonté à vouloir prendre la parole est-elle la preuve d’une évolution des mentalités ?
Il y a depuis une dizaine d’années une chape de plomb qui est en train de voler en éclat d’abord avec l’affaire DSK, puis celle de Denis BAUPIN, puis la naissance du mouvement #MeToo avec l’affaire WEINSTEIN, ensuite le scandale de l’affaire EPSTEIN, et plus récemment #MeTooIncest, et #MeTooGay qui traversent la société française et sans doute les autres sociétés.
Les livres témoignages de Vanessa SPRINGORA ou de Camille KOUCHNER marquent les esprits parce que la narration/dénonciation des abus qui ont pu être commis passe, d’une part, par une forme littéraire, et d’autre part, concerne des milieux qu’on peut qualifier « de privilégier ».
Ce qui change ce n’est pas tant la parole qui se libère - si l’on se souvient d’Eva THOMAS qui dans les 70 dénonçait déjà l’inceste dont elle avait été victime - mais une parole qui est désormais écoutée et entendue et la prise de conscience de comportements qui sont inacceptables. Il est donc essentiel de parler jusqu’à ce que notre société soit prête à entendre ce qui est longtemps resté comme invisible. Et il est tout aussi essentiel de convertir ces mots écoutés en action et protection pour les personnes concernées.
Quelle est l’évolution du droit sur la prescription ?
Parallèlement le droit a aussi évolué puisque depuis 1998 la prescription de ce que l’on qualifie de crime sexuel (viol) commis sur mineur qui est de 10 ans, démarre désormais à la majorité (18+10 = 28 ans) ; en 2004, la prescription de ces crimes passe à 20 ans, toujours à compter de la majorité (18+20 = 38 ans) ; cette prescription a été portée à 30 ans (18 + 30 = 48) par une loi du 6 aout 2018. Cette évolution législative signifie qu’un mineur qui nait aujourd’hui a devant lui 48 ans pour pouvoir dénoncer les crimes sexuels dont il aurait été victime et pour les délits sexuels, le délai de prescription est de 20 ans après la majorité.
Que dire sur la hiérarchie des infractions ?
La question de l’imprescriptibilité des crimes sexuels pose la question de la hiérarchie des infractions. Aujourd’hui en droit français, les seuls crimes imprescriptibles sont les crimes contre l’humanité et les fautes disciplinaires des avocats. Pour ces dernières, il s’agit d’une aberration bien évidemment. Sinon le principe est que plus le crime est grave, plus il doit pouvoir être poursuivi à n’importe quel moment, c’est ce que nous avons considéré pour les crimes contre l’humanité car l’on admet que les crimes contre l’humanité sont une atteinte à l’égard du genre humain.
Si l’on pose le principe de l’imprescriptibilité des crimes sexuels contre les enfants (comme les viols) où va-t-on situer les homicides, les assassinats, c’est-à-dire la mort d’un être humain planifiée, qui eux sont prescrits par 20 ans à compter du meurtre ? Par ailleurs l’imprescriptibilité d’un acte poursuivable pose la question du dépérissement de la preuve, des personnes qui peuvent éventuellement témoigner et du sens d’un procès pénal qui pour les enfants nés maintenant pourrait se tenir 40 ans, voire 48 ans, après les faits.
L’institution judiciaire n’est pas forcément en mesure de palier le dépérissement des preuves de sorte que la victime peut se retrouver face à un non-lieu, voire s’il y a un renvoi devant la Cour d’assises à un acquittement, sans oublier que le temps d’une enquête préliminaire ou d’une instruction avec un juge d’instruction peut avoir duré plusieurs années, sans parler de la confrontation avec l’auteur etc…
L’institution judiciaire ne peut palier ce qui a été dénié hier et elle ne peut pas davantage se substituer en lieu et place d’un accompagnement thérapeutique.
Est ce qu’une imprescriptibilité des crimes sexuels est envisageable ?
Je pense que la demande d’allongement de la prescription est une demande symbolique au sens qu’il s’agit de dire qu’on ne touche pas aux enfants, mais dans les faits elle aurait peu d’effectivité, étant précisé que les affaires dont nous entendons parler aujourd’hui n’ont pas bénéficié de la prescription de 48 ans qui est celle que nous connaissons depuis aout 2018.
Pour des faits qui ont été commis il y a très longtemps et qui ne peuvent pas aujourd’hui être poursuivis, cela peut être ressenti comme un déni de justice, mais il a vocation à disparaitre.
Ce dont je suis convaincue c’est que l’imprescriptibilité des crimes sexuels satisfera peut être quelques associations mais elle ne résoudra pas la question de fond qui est une question concernant les rapports de domination, principalement de domination des hommes sur les femmes - même si parfois ce sont des garçons qui sont victimes de crimes sexuels ; c’est bien la relation entre les femmes et les hommes et le travail autour de cette relation que se trouvent les solutions, outre le fait qu’il convient bien évidemment de donner les moyens à tout l’appareil policier, judiciaire et éducatif pour accompagner les victimes de ces crimes sexuels, qu’ils soient incestueux ou pas.
Et le consentement du mineur ?
La question de la prescription n’est pas la seule problématique, il y a aussi la question du consentement. Aujourd’hui les relations sexuelles entre un mineur de 15 ans (c’est-à-dire qui a moins de 15 ans) et un majeur sont susceptibles d’être poursuivis pénalement. Néanmoins, il n’y a pas au sens propre du terme un âge au deçà duquel le consentement serait présumé ne pas exister. Peut-être faut-il instaurer une présomption de non-consentement en deçà de l’âge de 13 ans ? La difficulté c’est que lorsque l’on est mineur y compris entre l’âge de 13 à 15, on pense savoir ce que l’on fait face à un adulte alors que l’on ne mesure pas nécessairement ce que cela signifie.
Ne faudrait-il pas mettre la formation des personnes qui interviennent au centre des réflexions ?
En effet, au delà des questions de modification de la loi ou pas, il y a aussi la problématique de la formation des forces de l’ordre qui reçoivent les plaintes, la formation des magistrats qui jugent ce type de dossier et d’une manière générale la formation de tous les personnels amenés à intervenir dans le champs police-justice-soin. Cette formation est balbutiante, même si bien sûr des progrès ont été fait en 20 ans mais il ne sont pas à la hauteur.
En plus il y a la prévention qui doit impérativement être effectuée à l’école et cela dès le plus jeune âge. Qui sait que depuis 2007, la loi impose d’effectuer une surveillance à des âges clés, 6 ans, 9 ans, 12 ans, 15 ans par les médecins scolaires voire par les infirmiers ? Or il y a moins de 1000 médecins pour 12,4 milliers d’enfants et 7.700 infirmiers scolaires ce qui est largement insuffisant.
Il faut éduquer et prévenir, éduquer et prévenir encore et toujours pour lutter contre des comportements qui témoignent de la volonté de pouvoir et de domination d’un plus faible ou perçu comme tel.