Lucile Schmid est la présidente du Prix du Roman écologique (PRE) qui se déroulera le mardi 12 avril à la BNF (Paris). Parce que l'écologie prend de plus en plus de place dans l’esprit de chacun, il fallait un Prix pour ancrer définitivement l'importance de cette matière. Nous avons rencontré celle qui est à l’origine du Prix pour en savoir plus :
Depuis quand existe le Prix du Roman écologique ? Qui en sont les créateurs et partenaires ?
La première édition du Prix du roman d’écologie (PRE) a eu lieu au printemps 2018. Ce Prix est né du constat que les enjeux écologiques transformaient déjà nos vies, notre manière d’envisager l’avenir, nos liens, et nos responsabilités et étaient une source d’inspiration littéraire encore souterraine mais qui ne pouvait que croître. Dans le débat public, les enjeux écologiques étaient majoritairement abordés sous l’angle de la raison et dans un langage technique, et sans doute insuffisamment sous celui de la sensibilité et de la diversité des histoires et des sentiments. L’aventure a associé d’emblée des écrivains -Alexis Jenni Prix Goncourt pour l’Art français de la guerre, qui préside le jury, Alice Ferney dont la biographie romancée de Paul Watson m’a bouleversée, Dalibor Frioux, Laure Limongi romancière et éditrice-, des libraires, l’un des fondateurs de la revue littéraire l’Allume-feu Rémi Baille, des pionniers des liens entre littérature et écologie comme Pierre Schoentjes professeur à l’université de Gand, des institutions - l’École nationale de paysage de Versailles-Marseille, le Master de création littéraire du Havre puis aujourd’hui l’École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy.La Poste a été notre mécène dès 2018. La Bibliothèque nationale de France est devenue notre partenaire en 2019. La Fabrique écologique fondation pluraliste de l’écologie, la revue Esprit sont également des partenaires de la première heure. Et nous avons depuis trois ans un partenariat média avec l’Obs.
Qui forme le jury ?
Le jury est constitué pour moitié d’étudiants. Ils sont 10 et viennent à parité de l’École nationale supérieure de paysage (ENSP) et de l’École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy (ENSAPC). La seconde moitié du jury est composée de personnes qui dans leur parcours professionnel ou personnel portent une attention particulière aux liens entre langage et écologie - scénaristes, écrivains, universitaires comme Antoine Hardy qui étudie les liens entre enjeux écologiques et transformation des pratiques scientifiques- et de représentants de nos partenaires -Jean-Marie Compte directeur du département littérature et arts à la Bibliothèque nationale de France (BNF), Pauline Frileux ethnobotaniste et professeure à l’ENSP, Elizabeth Guillon agronome et responsable des enjeux de transition écologique à La Poste.
Quel y est votre rôle ?
J’ai été avec Dalibor Frioux à l’origine de ce Prix. Nous avons créé une association qui le fait vivre et comme nous sommes tous bénévoles, cela implique une motivation et une énergie importante d’autant plus que le corpus littéraire augmente. Il s’agit de faire tenir ensemble l’ambition littéraire du Prix, la curiosité, la découverte de nouveaux textes et les questions d’organisation. Et puis ce Prix a un fonctionnement très démocratique. Nous sommes un jury d’une vingtaine de personnes venues d’horizons très différents. C’est très intéressant et il y a de l’intensité et de l’imprévu c’est une vraie histoire qui se noue chaque année autour du PRE. J’ai particulièrement insisté dès l’origine sur l’importance que le jury du prix donne une part importante aux étudiants.
J’ai aussi monté un cycle de conférences sur littérature et écologie à la BNF en lien avec le PRE. Cette année dans cette ligne la remise du Prix sera précédée d’une table ronde sur les langages de l’écologie - dans les sciences, le cinéma, la littérature- et d’un entretien avec Anne Simon spécialiste de Proust, qui a créé un programme de recherche Animots qui traque « la bête entre les lignes » (titre d’un de ses ouvrages) ou plutôt met en valeur cette présence animale en littérature. A la première édition du prix un jeune auteur Errol Henrot avait d’ailleurs sur ce sujet de l’animal évoqué avec émotion les écrits de Tolstoï. En bref l’idée est que le prix ne se résume pas à être un événement mais soit à l’origine d’une prise de conscience, d’un mouvement, d’une émergence culturelle.
Comment se déroulera l’événement ?
La remise du Pré sera précédée d’une conférence sur les langages de l’écologie puis d’un entretien avec Anne Simon sur la place de l’animal dans la littérature. Puis nous passerons à la cérémonie de remise du prix proprement dite.
Celle-ci doit permettre de mettre en valeur les six romans finalistes et leurs auteurs. Plusieurs auteurs seront là et dialogueront avec les étudiants du jury autour d’extraits de textes littéraires qui les ont inspiré en lien avec l’écologie. Ce choix de donner à la littérature une place dans la cérémonie du prix nous a toujours semblé féconde. Elle permet aussi d’illustrer combien l’esthétique, la beauté des textes, la sensibilité sont indispensables pour cette transformation du monde que nous devons mener. Enfin à l’issue de ces lectures, le président du jury Alexis Jenni rendra public le nom du lauréat et lui remettra le prix.
Les thèmes écologiques ont dû mal à exister dans la campagne et nos débats nationaux. Ce Prix est-il une façon de mieux sensibiliser les lecteurs ?
Oui bien sûr, nous assumons d’être un prix qui porte un engagement. Notre Manifeste fondateur repose sur le principe de sélection de textes d’une grande qualité littéraire où l’écologie représente une part substantielle de l’intrigue. J’ajoute que le prix est un prix francophone. Nous ne voulons pas nous limiter à l’hexagone. Il y a eu régulièrement des auteurs québécois sélectionnés dans les six romans finalistes, cette année il y a aussi une romancière franco-suisse.
L'écologie fait partie des premières préoccupations de Français. Comment expliquez-vous le déficit d'incarnation pour traiter de ce sujet fondamental ?
A travers les romans que j’ai lu grâce au Pré j’ai encore conforté ma conviction que définir un projet de société qui donne toute sa place à la nature ne relevait ni d’un grand récit unique, ni d’un homme ou d’une femme providentiels. Porter une perspective écologique c’est associer la pensée et l’action, travailler sur des rythmes et des espaces différents de la politique nationale, renoncer à certains réflexes, tâtonner. S'il y a un certain déficit d’incarnation dans le système politique et social actuel c’est parce que nous devons rompre avec l’ancien monde, faire bouger les rôles sociaux. Je trouve frappant que les scientifiques du GIEC prennent de plus en plus part au débat public, je suis heureuse que l’écologie soit revendiquée comme une priorité par de jeunes cadres du public ou des entreprises. Mais je n’oublie pas que nous n’avons toujours pas trouvé les réponses posées par les Gilets jaunes sur la construction d’une écologie populaire. Et aussi que lorsque des lois écologiques sont votées l’ambition est rarement à la hauteur.
Les prises de conscience ont lieu chaque jour mais la France peut-elle rattraper son retard ?
J’en suis sûre mais cela signifie donner aux choix de transformation de notre modèle économique et social une irréversibilité. C’est un énorme défi. La guerre en Ukraine le montre. Que ce soit sur le front de l’énergie ou de l’agriculture, les appels se multiplient pour substituer aux hydrocarbures russes des énergies fossiles venues d’ailleurs y compris des États-Unis, ou relancer la production intensive de céréales en assouplissant les règles environnementales. Et voici qu’un nouveau rapport du GIEC nous dit que nous devons nous mettre dans la bonne trajectoire d’ici 2025.Tout se percute et surtout les partisans du monde ancien sont toujours à l’affût pour repousser l’écologie, la mettre au placard. Ce que je trouve frappant c’est qu’ils le font souvent au nom du réalisme. Or la réalité c’est qu'il n’y a pas le choix il faut donc une pression concertée, résolue et collective sur les institutions et l’ensemble des lieux de pouvoir pour porter l’ambition d’une rupture. C’est ce que disent Bruno Latour et Nikolaj Schultz dans leur dernier ouvrage - Mémo sur la nouvelle classe écologique.
Déroulé de la soirée :
16 h – Table ronde : "Les langages de l’écologie" animée par Antoine Hardy, doctorant en sciences politiques, avec Jérémy Bernard et Guillaume Desjardins, auteurs-réalisateurs de la série télévisée L’Effondrement (Canal +), Irène Langlet, professeure de littérature contemporaine à l’université Gustave Eiffel, et Marc-André Selosse, biologiste
17 h 15 – Conversation "L'écologie entre les lignes", entre Anne Simon, directrice de recherche au CNRS, et Lucile Schmid, présidente du Prix du Roman d’écologie
18 h – Cérémonie de remise du Prix : présentation des six romans sélectionnés, lecture d'ouvrages ayant inspiré leurs autrices et auteurs
19 h 30 – Cocktail en partenariat avec la Dame bleue suivi d’une vente-signature
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