Judith Margolin est Mudith Monreovitz au Théâtre de La Pépinière. L'actrice aborde le métier de comédienne et ses difficultés, son enfance, ses joies et ses désillusions avec panache. On rit, on réfléchit aussi puisque l'artiste n'hésite pas à bousculer.
Rencontre La Ruche Média.
Comment est née Mudith ?
Mudith est née… d’une vidéo sur une vieille VHS ! Une vidéo de moi à 10 ans en stage de comédie musicale à Paris 19e. On m’avait désignée pour interpréter Marilyn, avec chignon banane, mouche et robe imitation 7 ans de Réflexion. J’interprétais le playback de My Heart Belongs to daddy à fond, j’étais transie de joie, et c’est un des seuls moments de mon enfance capté en vidéo ! J’ai retrouvé cette cassette il y a environ 7 ans en déménageant (un signe ?) et j’ai eu déclic : j’ai eu envie de rendre hommage à cette petite fille que j’étais qui désirait tant être sur scène. À partir de là, pourquoi ne pas écrire un spectacle qui ferait le parallèle entre Marilyn Monroe et une trentenaire comédienne au XXI siècle ?
Mais je ne voulais ni n’avais la prétention de créer un simple parallèle entre la femme la plus glamour du monde et moi ! Il fallait trouver un décalage amusant, qui me ressemble. J’ai alors pensé à ma famille juive ashkénaze et leur humour si particulier… et cet angle a déclenché l’écriture. Je me sentais alors libre d’aller du glamour au ridicule, de déconstruire cette image d’icône de perfection tout en lui rendant hommage. J’ai commencé par changer la première lettre de mon prénom de « Judith » en « Mudith », pour avoir les mêmes initiales que Marilyn Monroe… et comme ça que Mudith est née.
Que pensez-vous de cette phrase de Marilyn Monroe qui figure dans votre présentation : "L’imperfection est beauté, la folie est génie, et il vaut mieux être totalement ridicule que totalement ennuyeux " ? Elle n'était ni l'un ni l'autre. Qui est votre Marilyn ?
J’adore cette phrase. Pour moi, elle résume le spectacle. Elle est ma note d’intention, en quelque sorte. Je l’ai découverte dans Fragments, qui regroupe plusieurs petits textes et phrases de Marilyn. Cette phrase me frappe, car Marilyn représente encore aujourd’hui l’image de la perfection dans l’imaginaire collectif. À son époque, les actrices hollywoodiennes étaient très fortement considérées comme des femmes objets, des enveloppes séduisantes. Marilyn en était la quintessence, mais quand on lit ce qu’elle écrivait, on se rend immédiatement compte qu’elle n’était pas seulement un décolleté, mais bien un cerveau ! Une femme subtile, intelligente, cultivée , pleine d’humour, mais qui n’a jamais réellement pu exprimer cette part d’elle-même publiquement. Une femme belle et intelligente à la fois, impossible dans les années 50 ! Ça me fascine qu’elle puisse écrire que « l’imperfection est beauté ». Ça prouve qu’elle était parfaitement consciente de son statut, de son image. Elle est devenue la ravissante blonde idiote, la «dumm blonde » comme elle le disait elle-même, comme le souhaitaient les puissants patrons de studio. Mais c’était une femme lucide et subtile. Hors à l’époque c’était inimaginable d’associer la bombe sexuelle et l’intellectuelle. Découvrir en grandissant que Marilyn était tout ça à la fois m’a bouleversée. Moi aussi, j’étais prise au piège de sa beauté et apparente naïveté ! Pour moi, cette phrase est le mantra secret de Marilyn. J’adore penser qu’on peut être tout à la fois sexy et l’assumer, tout en citant du Nietzsche !
C’est la phrase d’une femme libre, libre d’assumer qui elle est, avec toutes ses contradictions. Marilyn n’a jamais pu être pleinement cette femme, victime de son époque ultra patriarcale. Elle devait se cacher pour penser, en quelque sorte ! Hors le monde a changé (enfin, change lentement mais sûrement on va dire) et j’avais envie de raconter ce que Marilyn aurait pu être au XXIe siècle : une femme libre d’être absolument elle-même, dans toutes ses magnifiques imperfections. C’est pour ça aussi que je vais parfois loin dans le trivial dans le spectacle. Je veux montrer tous les aspects d’une femme ! Et parfois ça dérange encore, c’est ça le plus dingue. Une spectatrice m’a dit un jour «vous êtes si belle, vous vous gâchez à faire toutes ces choses sur scène» ! Et au fond, cela m’a confortée dans l’idée que je devais continuer à fond ! Pour rendre hommage à Marilyn et toutes ces femmes qui se sont retrouvées coincées dans une image papier glacé.
C’est grâce à la découverte de ces Fragments que j’ai inventé le concept de «bombasse cérébrale » qu’on retrouve dans le spectacle. Pour moi, Marilyn c’est la bombasse cérébrale ultime !
Votre spectacle est féministe. Quel regard portez-vous sur l'évolution du néo-féminisme ?
Le consentement est un thème très important dans le spectacle. J’ai écrit Mudith en 2016, avant la naissance du #metoo. Je n’étais même pas consciente d’avoir un discours féministe à l’époque ! J’avais envie de raconter cette histoire d’affirmation de soi très intime pour moi, mais une affirmation dans la globalité, une fille qui accepte de compter sur elle-même pour avancer dans sa vie, avec les sacrifices et les épreuves que ça constitue pour parvenir à cet empuissancement. Cela passait par cette première fois où Mudith dit «non » à un homme. Elle réalise qu'elle n'a pas envie et parvient à l'exprimer. C'est évidemment mon histoire. J'avais été si surprise et fière de moi de réussir à dire ce NON. Un simple « non » qui demande tant d’efforts dans cette société patriarcale dans laquelle j’ai été moi-même archi conditionnée à ne pas m'écouter et me faire confiance. Et effectivement depuis que j’ai pris conscience de ce qu’était le féminisme, toutes ces femmes qui ont pris la parole m’ont tellement aidée ! J'ai pris conscience de l'ancienneté de ce combat des femmes pour leurs droits, et je suis tellement heureuse qu'il ait pris cette ampleur aujourd'hui ! En dehors de la puissance du mouvement #metoo et cette libération de la parole de femmes qui est un tournant dans l'histoire des femmes et qui m'a bouleversée, des podcasts comme Les Couilles et le Cœur sur la table de Victoire Tuaillon, les livres de Titiou Lecoq, les BD de Liv Strömquist, des organisations comme #noustoutes m'ont aussi énormément éveillée à cette cause. Je suis profondément féministe. Je ne suis pas une militante suractive, je l’avoue, et j’admire celles (et ceux) qui le sont au quotidien !
Je trouve l’époque que nous vivons à la fois difficile et très réjouissante depuis le #metoo, en France. L'évolution du néo-féminisme commence à se ressentir doucement dans la société française. Mais ce n'est clairement pas encore gagné, c'est une lutte compliquée,et souvent caricaturée : on donne toujours des exemples extrêmes, on traite les féministes de furies dangereuses et castratrices pour discréditer le féminisme et prouver que cette lutte (encore beaucoup trop considérée comme secondaire par l'opinion selon moi) mène à la domination des femmes sur les hommes ! C'est absurde. Je crois qu'au contraire, cette révolution-car oui pour moi c'est une révolution !-a pour objectif de s'éduquer toutes ensemble pour parvenir à l'égalité des genres. En tout cas c'est ce que je souhaite, et j'admire toutes ces femmes et ces hommes qui luttent pour faire avancer la cause féministe partout. Une classe de lycéens est venue voir Mudith en tournée en 2020 et plusieurs garçons de 17 ans m'avaient donné ce retour : "ça fait bizarre de voir une femme parler cru au théâtre". Je me suis dit qu'il y avait encore du boulot et que c'est aussi pour ça que j'ai envie de monter sur scène et écrire des films.
Vous traitez aussi de la réussite et des frustrations. Comment se départir des injonctions sociales ?
Je n'ai pas de recette pour se départir des injonctions sociales, si seulement j'en avais une je vous la donnerais tout de suite ! Mais effectivement, Mudith se heurte à la dure réalité du métier de comédienne, l'envers du décor. J'ai fait beaucoup de jobs alimentaires (goûters d'anniversaires, spectacle improbable sur le lait au salon de l'agriculture... je ne pourrai pas vous faire la liste, elle est longue) pour tenir le coup et rester intermittente. Les injonctions sociales nous poussent souvent à la sécurité de l'emploi.. hors être artiste va à l'encontre de tout ça ! On passe notre temps à se jeter dans le vide sans savoir de quoi sera faite notre année. Mes parents étaient profs, et pour des fonctionnaires comme elleux, c'était difficile d'accepter que j'embrasse ce métier. J'ai cependant reçu leur soutien, même s'ielles connaissaient uniquement la notion de réussite vs échec. Hors pour être artiste, il n'y a pas réellement de diplôme.. juste du travail et de la chance. Et un moral d'acier. Je me suis accrochée et je crois qu'il faut le faire, coûte que coûte, et tenter de faire ce qui nous correspond.. en acceptant la frustration qui va avec. La frustration est devenue ma compagne, comme beaucoup d'artistes je vis avec elle au quotidien.. mais je m'en sers pour la transformer en textes, chansons, films... C'est la solution que j'ai trouvée. Et alors parfois, l'échec se transforme en réussite.
Cette liberté vous a-t-elle coûté ?
Oui, encore aujourd'hui, elle me coûte parfois. Artiste c'est beaucoup de rêves et d'attente, pour parfois trop peu de résultats. Comme une montagne sans fin à gravir. Artiste c'est aussi un métier assez précaire quand on est pas au sommet, et surtout quand on vit à Paris, avec un loyer délirant pour une petite surface. C'est aussi être sans cesse dans la comparaison, la compétition avec les autres, préparer des castings des heures pour rester parfois sans aucune réponse... et dès que les périodes sont calmes et qu'on ne travaille pas, on souffre ! Quand les rôles n'arrivent pas on se sent muselé.es de force. Comme beaucoup d'artistes, j'ai besoin de m'exprimer tout le temps. Alors un jour j'ai décidé d'écrire pour arrêter d'attendre qu'on m'appelle. Et je n'ai fait aucune concession. J'ai écrit sans me censurer, sans chercher à plaire. Je voulais être la plus sincère possible, et me raconter de façon extrêmement intime. Parfois le spectacle a pu choquer, outrer, ou déranger. Être traité de vulgaire, être rejeté par un producteur car trop "trash". Plusieurs fois on m'a suggéré fortement de couper certains passages, trop sexuels ou étranges (comme ce voyage que je fais dans mon nez). Je n'ai jamais voulu le faire. C'était exactement ce ton-là que je souhaitais employer, et il a fini par convaincre une productrice fabuleuse et le public, qui lui a toujours été là. J'ai gagné cette liberté là, d'être parfaitement moi-même sur scène et exprimer ma vision du monde, et pour cette joie là, si intense, je ne regrette pas les moments difficiles que j'ai pu traverser et le fait de ne peut-être jamais devenir propriétaire avec une retraite décente !
Quelles sont vos références autres ?
J'ai toujours été très fan des films de Spielberg, Lynch, de Claude Sautet, Yves Robert, Jane Campion... j'adore aussi Rebecca Zlotowski, Justine Triet et les rôles de femmes subtils et fins et puissants qu'elles mettent en scène, comme dans les Enfants des Autres et Sybill ou Victoria. Au théâtre, Mnouchkine fut mon premier choc à l'époque de Et soudain des nuits d'éveil, ainsi que le Lapin Chasseur de Jérôme Deschamps, j'adore ce théâtre de troupe, de chœur, de fête. J'aime les premiers solos de Caubère (Ariane ou l'âge d'or, Les Enfants du Soleil), et un peu plus tard j'ai été éblouie par La Réunification des deux Corées et Cendrillon de Pommerat. Je voudrais citer aussi des seule.s en scène très inspirants comme ceux d'Audrey Vernon, Elise Noiraud, Blanche Gardin, Monsieur/ Madame Fraize... et l'humoriste anglaise Eddie Izzard, elle est unique. Et évidemment des séries récentes écrites jouées et mises en scène par des femmes comme Fleabag de Phoebe Waller-Bridge (la liberté et l'audace du ton de cette série est pour moi inédite dans le parcours d'un personnage féminin à l'écran), ainsi que The Marvelous Mrs Maisel du couple Amy et Daniel Palladino, que j'ai découverte un peu tradivement, une série sur une stand-uppeuse ashkénaze (!) new yorkaise dans les fifties, ultra féministe, drôle et réalisée comme une comédie musicale.. c'est une pépite. Je pourrais vous citer plein de romancières aussi.. j'ai évidemment été retournée, hypnotisée par Blonde de Joyce Carol Oates (dont j'ai lu beaucoup d'autres romans) sur Marilyn, une référence pour moi ! Le livre me paraît bien meilleur que le film d'Andrew Dominik, d'ailleurs, que j'ai trouvé assez indigeste, même si la performance d'Ana de Armas est dingue. J'aime également beaucoup Chloé Delaume, Delphine de Vigan, Virginie Despentes bien sûr (je précise que c'est mon ancien compagnon qui m'a offert King Kong Théorie, comme quoi !). J'ai récemment lu le premier roman de Maria Larrea, Les Gens de Bilbao naissent où ils veulent, et j'ai été bouleversée par cette quête d'identité entre la France et l'Espagne, un récit d'affirmation de soi d'une jeune femme qui mène l'enquête sur elle-même, ce qui a fortement résonné en moi.
Vos projets cinéma et séries à venir ?
J'ai plusieurs projets d'écriture, un long-métrage, mon prochain seule-en-scène, ainsi qu'une pièce à cinq personnages (il n'y a pas que le solo dans la vie !), et je fais partie de Sabbat, un sublime projet de théâtre dansé de Noémie de Lattre autour de la figure de la sorcière en tant que femme libre et puissante, avec 17 femmes au plateau ! Un projet très fort qui j'espère verra le jour prochainement, nous cherchons encore des subventions ! J'apparais également dans la prochaine série de Nicolas Bedos, Alphonse, avec Jean Dujardin et Charlotte Gainsbourg, prochainement sur une plateforme. J'organise aussi le Champagne comedy club avec une amie actrice et autrice, Laurence Vaissière, tous les trois mois à La Nouvelle Seine, cette péniche sublime où j'ai créé Mudith grâce à sa merveilleuse directrice artistique Jessie Varin. C'est un comedy club assez inédit qui mêle toutes les formes de solo, y compris de la danse, de la musique et du seul.e en scène purement théâtral, sans obligation de faire de la punchline à tout prix. 14 artistes qui le temps de 7 minutes, nous font entrer dans leur univers. J'y teste beaucoup de nouveaux textes. Ce plateau est à grande majorité féminin et nous en sommes fières. C'est un moment très festif ! Les prochaines soirées auront lieu les mercredis 5 avril et 7 juin.
Mudith Monroevitz est prolongée tous les lundis 21h (sauf le 10 avril) à la Pépinière jusqu'au 27 avril, et repartira en tournée, pour ma plus grande joie !