Zélie, 50 ans, est enseignante d’arts plastiques dans un lycée de banlieue. Par amour et parce qu'elle ne comprend plus la logorrhée de ses élèves ni son métier, elle quitte tout et part au Congo en retraite anticipée. Nicolas Fargues, après une trop longue absence, revient avec un roman coup de poing au rythme saccadé. Il scrute notre époque et livre un tableau sans concession. L'œuvre nous renseigne sur l'adaptabilité, la transmission impossible, les relations hommes-femmes, le racisme, le colonialisme, le wokisme et le conflit de génération. Rencontre :
La péremption est-il d'abord un livre satirique qui épingle les travers français ? (Tics de langage, petites manies, mauvaises habitudes...)
La satire est, depuis mon premier roman, mon mode d’expression spontané. Il ne s’agissait pas tant avec ce livre d’épingler les travers des uns ou des autres que d’aborder la question de l’âge et du souvenir en prenant de vitesse clichés et pathos. C’est cette volonté délibérée d’éviter les chausses-trappes des bons sentiments qui crée un effet d’ironie. Dans le roman, tous les personnages en font les frais à des degrés divers : l’héroïne et son fils français tout aussi bien que son amant congolais et sa famille. Tourner en dérision, c’est ma façon à moi de rechercher la note juste.
Zelie quitte tout (travail, pays...) pour vivre une retraite très anticipée en République démocratique du Congo. Est-ce une envie qui figure dans votre liste personnelle ?
J'ai déménagé vingt fois en trente ans et vécu dans six pays différents. Je ne possède pas de biens, je ne suis propriétaire de rien. Pas vraiment pauvre, mais libre comme Job. Des bouts de chemins avec plusieurs femmes. Je ne nourris aucune ambition d’aucune sorte autre que celle d’être un père présent pour mes trois fils. C’est ma vie qui, en quelque sorte, est devenue une longue retraite anticipée depuis que, il y a vingt ans, j’ai cessé de chercher à la planifier.
Zelie rencontre Shock. La péremption est-il aussi un livre sur les relations intergenerationnelles ?
Interraciales surtout. Né et élevé en partie en Afrique subsaharienne, Shock a grandi dans un pays de jeunes mais pas jeuniste. Pour le reste (son fils, ses élèves), Zélie n’est pas tant confrontée à un choc générationnel que mise face à une cruelle évidence : jadis objet des regards, elle n’est plus, à cinquante ans, au premier plan d'un paysage humain urbain dont la moyenne d’âge est de trente ans.
Elle est blanche, il est noir. Elle est professeure, il est dans le disgn. Est-ce difficile d'écrire au féminin ?
On écrit parce qu’on voit et parce qu’on sait. Parce qu’on discerne et comprend l’essence même d'entités qui nous sont exogènes. Depuis quelques années, j’écris au féminin et j’écris aussi en « noir » parce que je n’ai pas l’impression d’avoir à me forcer pour discerner ce qui différencie hommes et femmes, Noirs et Blancs.
Est-ce votre réponse aux procès ridicules en appropriation culturelle ?
Je ne me sens pas concerné par ces fameux procès en appropriation culturelle parce que ces épisodes ponctuels de réincarnation par la fiction littéraire me paraissent à moi naturels, ils sont le reflet de ma vie et de mon expérience. D’ailleurs, on ne m'a jamais rien reproché de ce genre. Ou bien une seule fois. C’était en 2018 à l’Université de Cape Town, en Afrique du Sud. L’étudiante qui s’y est risquée ne m’avait pas lu. Et elle était blanche. Les Noirs qui me lisent, et j’en connais un certain nombre, n’ont jamais employé à propos de mes livres le terme d’"appropriation culturelle". Car ils ont bien saisi que je n’instrumentalisais pas la question du racisme. Je sais de quoi je parle, je ne juge pas et, cela, le lecteur, blanc ou noir, le ressent.
Que signifie pour vous d'avoir 50 ans ? Un témoin ? Un passeur ? Un passage ? Un héritage ?…
50 est avant tout un nombre dont je n’aime pas la physionomie. Il est tassé et replet. Ça sent l’hypogastre alangui et l’haleine de compote périmée. Le début de la fin.
Nicolas Fargues POL 192p., 19€