Le reporter franco-irakien, Feurat Alani, signe un documentaire animé sur la guerre que son pays l'Irak a subi et lchaos engendré. Il a été récompensé pour son roman graphique Le parfum d'Irak par le prix Albert-Londres du livre 2019. Le film est à voir le 11 septembre sur Arte. Nous l'avons rencontré :
"L'Irak est dans ma tête" affirme le protagoniste de 8 ans. Vous prenez conscience de votre double identité et donc de votre richesse en arrivant sur le sol irakien ?
Oui, en quelque sorte. Je savais avant d'y aller que j'étais d'origine irakienne de part la perception de mes camarades, mais aussi du discours familial où le pays rôdait de la table de cuisine aux conversations les plus banales. L'Irak était là, mais je l'ai effectivement rencontré en posant le pied dans le pays, en étant submergé par l'Irak, par ma famille, par le pays, par son odeur et ses mots.
Racontez-nous la modernité que vous y voyez à votre atterrissage ?
Ça peut paraître très cliché, mais pour moi l'Irak de mon imagination ne ressemblait pas à un pays, mais plutôt à une succession de villages entourés de dunes et de dromadaires et de tapis. J'avais 8 ans et demi lors de mon premier voyage et déjà biaisé par mon jeune vécu d'occidental où l'Orient dépeint à la télévision, dans les dessins animés ou dans les Tintins (celui sur l'or noir) m'avaient imprégné. Donc quand j'arrive à l'aéroport, je tombe des nues. Tout est illuminé, tout est moderne, il y a des vitres partout, des tapis roulant pour les valises (et non volant comme dans Aladdin), du goudron et des luminaires dehors, des voitures américaines et japonaises, donc rien à envier à la France, voire même plus américain que dans les films que j'avais vus au cinéma ! L'Irak de 1989, malgré huit ans de guerre, était très développé et moderne.
Le parfum inoubliable est celui d'une glace mais c'est aussi une métaphore ?
Oui, la glace à l'abricot englobe tout. En vérité, l'abricot n'est pas le fruit irakien par excellence. C'est plutôt la datte ou la pastèque, mais peu importe. C'est une glace à l'abricot que j'ai dégustée à peine le pied posé. Donc l'Irak de mes souvenirs part de cette mémoire olfactive, gustative et cette mémoire amène les autres. Il y a tout dans cette glace : la découverte, l'ancrage, l'entrée, la chronologie, le goût, le souvenir.
Est-ce la découverte du pays de vos parents qui vous impose de devenir reporter ?
Avec le recul, je dirais que c'est une évidence. Pourtant, je ne l'avais jamais formalisé, ni imaginé. Cela est venu avec le temps et les évènements. J'avais beau chercher un métier possible, l'Irak s'est imposé à moi par son actualité et par sa destruction programmée. Je ne pouvais échapper à l'idée de raconter ce pays avec mon vécu, mon expérience là-bas, et surtout l'urgence de le faire. Une envie aussi. Ce premier voyage (et les suivants) m'ont très certainement conduit à devenir reporter, à poursuivre le récit que je tiens depuis 1989 autour de moi, de l'élargir à l'opinion publique à travers les reportages et l'écriture.
Un animé est-il plus efficace qu'un documentaire pour raconter de l’intérieur la désagrégation d’une nation ?
Je ne dirais pas que c'est l'animé qui est le plus efficace, mais plutôt l'intention. Là, en l'occurrence, je ne pouvais filmer mes souvenirs. Alors l'animé s'est imposé de lui-même. Un animé très nuancé, sans réels visages, où les sens mènent la danse, mais aussi pour donner de l'espace à l'imaginaire. On peut raconter un pays de l'intérieur sans les dessins mais pour cet Irak de la mémoire, cela donne plus de sens aux sens.
L'Amérique a-t-elle contribué à la désintégration du pays ?
C'est indéniable. Il ne faut pas enlever une partie de la responsabilité à Saddam Hussein, mais les États-Unis ont envahi un pays sur la base de mensonges, pour un agenda très personnel et en bafouant le droit international, qui n'était pas tant respecté, mais encore moins après 2003. Je suis persuadé que l'invasion américaine de l'Irak a précipité le pays dans le chaos, mais aussi la région en fait, en ouvrant le champ des possibles, en humiliant le droit international, en montrant à d'autres le chemin : celui de franchir toutes les lignes rouges, qu'il s'agisse de détruire son propre peuple ou celui d'un autre.
Êtes-vous optimiste quant à une reconstruction saine de l'Irak ?
Oui car je regarde toujours les événements avec le plus de recul historique possible. Bagdad est tombée, a été anéantie plusieurs fois dans l'Histoire. Elle s'est toujours relevée. Les Irakiens comme d'autres peuples, sont résilients. Et je suis un grand optimiste dans la vie...
Photo : Patrice Normand.