L'auteure Sophie Adriansen et la dessinatrice Anjale publie "Outre-Mères. Le scandale des avortements forcés à La Réunion" aux éditions Vuibert. L’œuvre est importante car elle aborde le sujet délicat des avortement forcés en 1970 à la Réunion. Faits mal connus et mis en lumière par un travail de concert. Adolescents ou public averti, le récit graphique réussi est adressé à tous et toutes ! Rencontre avec les artistes pour en savoir plus :
Après Linea Nigra, qui s'intéressait à la maternité, vous poursuivez avec votre très beau roman graphique, "Outre-Mères. Le scandale des avortements forcés à La Réunion". Le dessin permet-il de passer votre message plus aisément ?
Sophie Adriansen : Le fait d’aborder un sujet en bande dessinée permet de le rendre plus accessible, et donc de toucher davantage de lectrices et de lecteurs. Le roman intimide parfois, l’essai encore plus. Ici, le propos est dur, le scandale sidérant, mais le dessin d’Anjale, arrondi et tendre, avec une palette de couleurs réduite, permet de l’adoucir et de le rendre plus abordable.
Anjale : Je trouve que la bande dessinée est un support formidable car elle permet de raconter tout type d’histoire. Dans le cas de notre livre, c’est aussi rendre plus accessible un sujet difficile grâce à l’équilibre entre la dureté de ce qui est raconté et la douceur du trait.
Qu'est-ce qu'un avortement forcé ?
Sophie Adriansen : C’est un avortement non consenti. Dans Outre-mères, le personnage de Lucie, qui vit sur l’île de La Réunion et attend son septième enfant, est envoyée à la clinique de Saint-Benoît, à l’est de l’île, après des douleurs au ventre. On lui affirme qu’il faut l’opérer de l’appendicite… mais en réalité, on l’avorte à son insu, et on lui ligature les trompes. On estime que dans les années qui ont précédé le procès opposant les plaignantes aux médecins, en février 1971, plusieurs milliers de femmes ont ainsi été avortées sans consentement, par des médecins dont l’intervention était remboursée par la Sécurité sociale.
Anjale : Un avortement forcé est un avortement réalisé sans le consentement de la personne qui le subit. Ces pratiques ont longtemps servi, et servent encore dans certains pays, à contrôler et limiter les naissances chez les populations issues de minorités. (population autochtone, personnes handicapées, lgbtqi+…)A La Réunion, ces avortements et stérilisation forcés s’inscrivent dans une période de forte propagande anti-nataliste sur l’île alors même qu’en Hexagone, les moyens de contraception sont difficilement accessible et où on incite au contraire les femmes à avoir des enfants.
Pourquoi ces faits sont oubliés ?
Sophie Adriansen : Ce scandale éclate en 1970 et implique, outre des médecins en exercice dans plusieurs cliniques de l’île, le docteur Moreau, propriétaire de la clinique de Saint-Benoît, et par ailleurs maire de Saint-Benoît depuis 1956 et président du Conseil général de La Réunion, élu avec 100 % des voix. Certains avaient donc intérêt à ne pas faire de publicité pour cette affaire et à étouffer la parole des plaignantes, qui étaient des femmes racisées et pauvres pour la plupart.
Anjale : A l’époque, le sujet a été assez peu médiatisé. Beaucoup de ces femmes ont gardé le silence par peur et par honte. Les personnels soignants témoins de ces pratiques craignaient des répercussions s’ils dénonçaient les médecins. Je pense également qu’il y a toujours eu un traitement de la mémoire postcoloniale un peu défaillant. Jusqu’à il y a quelques années encore, le sujet des enfants de la Creuse était lui aussi très peu connu. Cette histoire, qui touche également à la question du contrôle de la démographie des outre-mer, commencent à avoir plus de résonance aujourd’hui, et nous espérons qu’il en sera de même avec le scandale des avortements forcés.
L'ouvrage est pédagogique. L'ambition était-elle d'atteindre une cible jeunesse ?
Sophie Adriansen : L’idée était vraiment de toucher le plus grand nombre de lectrices et de lecteurs en proposant une histoire documentée, précise, mais portée par des personnages fictifs évoluant dans un contexte bien réel. Le résultat reste très pudique, et par conséquent rien n’en interdit l’accès aux adolescents. Et c’est tant mieux, car la capacité d’indignation de la jeunesse est parfois plus grande.
Anjale : Notre ambition était avant tout de mettre en lumière cette histoire et de la rendre accessible sans avoir forcément un public cible en tête. C’est super si effectivement nous pouvons aussi atteindre un public adolescent !
Comment avez-vous collaboré ?
Sophie Adriansen : J’avais écrit le scénario intégralement quand nous avons commencé notre collaboration. Ensuite, nous avons beaucoup échangé. Anjale a considérablement enrichi le projet par son regard, ses recherches à la bibliothèque départementale de La Réunion, sa connaissance du créole réunionnais… Outre sa maîtrise de la bande dessinée, Anjale a apporté une vraie âme à Outre-mères en tant que Réunionnaise !
Anjale : Je suis allée quelques semaines à La Réunion afin de trouver de la documentation. J’ai passé quelques journées à la bibliothèque départementale de la Réunion pour trouver des photos des années 60 et 70 de l’île. Je me suis ensuite lancée dans la réalisation des pages de BD et Sophie a été très à l’écoute de mes propositions pour parfois adapter certaines scènes et les rendre plus adaptées au mode de vie et aux décors de La Réunion.
Sophie, vous avez étudié l'écriture de scénario à la Fémis. Aimeriez-vous adapter ce livre en animé ?
Sophie Adriansen : Depuis que j’ai appris cette forme d’écriture à la Fémis, j’écris des scénarios… de bandes dessinées. C’est une forme narrative que j’affectionne particulièrement. Je suis toujours ravie quand d’autres s’emparent de mon œuvre pour l’adapter ou la réinterpréter à leur manière, alors si un projet animé voyait le jour, j’en serais ravie – d’autant que ce serait le moyen de toucher un public encore plus grand.
Sophie Andriansen et Anjale " Outre-Mères. Le scandale des avortements forcés à La Réunion " aux éditions Vuibert.
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