Le nouveau documentaire réalisé par Clara et Julia Kuperberg, « États-Unis : la bataille de l’avortement », en diffusion le 4 novembre prochain sur Histoire TV, et coproduit par Wichita, est à voir sans retenu. Il apporte le recul nécessaire pour saisir ce par quoi sont passées les femmes américaines pour obtenir le droit à l'avortement. Ce long chemin est remis en cause depuis quelques années dans la première puissance mondiale. Les effets sont ravageurs et incitent d'autres pays à faire de même.
Rencontre avec les sœurs Kuperberg.
Depuis 24 juin 2022, une décision de la Cour Suprême américaine statue que le droit à l’avortement n’est plus un droit constitutionnel. Qu'est-ce que cela engendre aux États-Unis ?
Du jour au lendemain , quasiment dans la nuit du 24 juin 2022, les États les plus conservateurs, les "Red" states, ont interdit l'avortement dans leurs États. Des los anti avortement étaient prêtes, des Trigger Laws, à être mise en application dès que Roe vs Wade serait révoqué et ce fut le cas. Cela a entrainé des annulations en chaîne de procédures calées dans les cliniques jusqu'à l'interdiction de voyager dans certains États pour pratiquer un avortement dans un État pro avortement.
Le droit à l'avortement est donc questionné dans plusieurs endroit du monde. Qu'est-ce qui vous a donné envie de regarder du côté des États-Unis ? Votre double appartenance ?
Nous travaillons essentiellement sur les États-Unis, et notamment sur ses paradoxes, ce pays qui est considéré comme la première démocratie au monde, qui s'est construit sur la liberté individuelle et la liberté religieuse notamment, a finalement depuis plus d'un siècle laissé la religion envahir la vie politique et sociale. À quelques jours de l'une des élections présidentielles les plus dangereuses de ce pays, où Donald Trump devrait être élu à nouveau, ce sont les droits des femmes en premier qui sont menacés mais aussi ceux des homosexuels, des trans genre, et la liste est longue.
Est-ce qu'une histoire mondiale de l'avortement serait envisageable au regard du recul planétaire sur ce sujet ?
Oui, car on le voit malheureusement aux quatre coins du monde ! Ce sont toujours les droits des femmes qui sont remis en question et les femmes qui subissent les changements politiques (Afghanistan, Iran...). Comme le disait Simone de Beauvoir : les droits des femmes ne sont jamais acquis. On a bien vu l'année dernière en Pologne. Et même en France, c'est parfois dans les discours de certains hommes ou femmes politiques.
Êtes-vous optimiste quant à l'évolution des mentalités, ou les dommages sont-ils irrémédiables ?
Aux États-Unis, les femmes américaines ont vécu Dobbs comme un choc, notamment toutes celles qui s'étaient battues dans les années 60 et 70 pour le droit à l'avortement. Il leur semblait impossible que leurs droits soient révoqués de la sorte, et pourtant les signes étaient là, les "anti avortement" n'ont cessé depuis les années 80 de vouloir revenir sur Roe et avec la montée des évangéliques. On peut le dire du fanatisme religieux de l'extrême droite américaine, des avocates spécialisées du droit des femmes comme Kathryn Kolbert (ndlr : dans le documentaire) savaient que Roe allait finir par être révoqué. Quand Donald Trump a "pris" la cour suprême en y nommant des juges (jeunes ! et élus à vie !) anti avortement, le ver était dans la pomme, et ce n'était qu'une question de temps.
Avez-vous rencontré des difficultés ou des résistances pour réaliser ce film ?
Non, car notre volonté était de faire un film le plus factuel possible, et de comprendre comment les Américains qui sont un peuple régit par la religion, prenait ce problème de l'avortement d'un point de vue étatique ou moral. La question se trouvait là. Et nos intervenants au contraire étaient heureux que ce film existe, car il y a très peu de documentaires sur le sujet.
Votre société de production, Wichita Films, est comptable d'un grand nombre de documentaires tel que celui sur Dorothy Arzner, diffusé dimanche 12 novembre dernier à 22h40, sur OCS. Beaucoup portent sur les femmes. Quelle est votre pionnière favorite ?
Nous avons découvert en 2015 qu'Hollywood avait compté au début du 20e siècle, plus de femmes réalisatrices, productrices et scénaristes que jamais depuis. Le documentaire Et la femme créa Hollywood sélectionné à Cannes notamment et qui tourne toujours en festivals dans le monde entier nous a ouvert un monde totalement caché ; celui des pionnières qui avaient créé Hollywood et le langage cinématographique. Ida Lupino, Dorothy Arzner, Mary Pickford, ce sont les trois grandes sur lesquelles nous avons travaillé, et qui vont faire l'objet d'un coffret DVD édité par Kino Lorber aux États-Unis, mais il y en d'autres, dont l'histoire a oublié totalement le nom.
Je pense que notre pionnière favorite est Dorothy Arzner, qui a ouvertement assumé son homosexualité en 1920-1930 à Hollywood où il était quasiment impossible de le faire, mais surtout en faisant des films d'une audace folle, contre le mariage, contre le patriarcat à une époque où ce terme n'existait même pas, avec un regard de femme sur des femmes.
Quel est votre prochain projet ?
Nous venons de finir un film sur la représentation du génocide amérindien aux États-Unis et la façon dont les Natives Americains ont été représentés notamment à Hollywood dans le cinéma américain, il sera diffusé en 2025 sur Ciné+ et Canal.
Et nous sommes en ce moment en tournage d'un documentaire sur les années 10 et 20 aux États-Unis, les "Roaring Twenties".