L'exposition "Chaque vie est une histoire. Art et Récits. 200 regards sur l’immigration et sur le Palais" au Palais de la Porte Dorée fascine de puis le 8 novembre, et pour cause. La double exposition est inédite puisqu'elle investit pour la première fois l’ensemble du Palais, de ses espaces historiques au Musée national de l’histoire de l’immigration en passant par l’Aquarium. 200 regards, artistiques, historiques et témoins, viennent explorer la mémoire, l’invisibilité et l’anonymat pour retrouver des visages et retracer des histoires. Nous avons rencontré 3 commissaires : Isabelle RENARD, Elisabeth JOLYS-SHIMELLS et Emilie GANDON pour en savoir plus.
Comprendre les complexités des mouvements migratoires et les promesses qu'ils suscitent. Est-ce l'enjeu de l'exposition Chaque vie est une histoire présentée au Musée jusqu'au 9 février 2025 ?
20 ans après sa première acquisition, l’exposition présente la diversité et la pertinence de de la collection du musée national de l’histoire de l’immigration. Celle-ci permet d’aborder les migrations d’une manière sensible et respectueuse, qui multiplie les regards, fait entendre les voix, souligne les obstacles mais révèle l’agentivité et le courage de celles et ceux que l’on assigne trop souvent à une catégorie déshumanisée, manipulée pour agiter les peurs.
Comprendre les motivations de ceux qui quittent tout (famille, langue, patrimoine...). Baluchon, partir, choisir ce qui est important à emmener. Cette exposition est-elle aussi faite pour montrer ce qu'est l'exil ? Tout ce que cela suppose d'abandon ?
Pour lutter contre l’essentialisation, il est nécessaire de faire voix, faire entendre les singularités, mais aussi d’aborder tous les aspects des migrations. Les difficultés, les déchirements, mais aussi les stratégies individuelles et collectives de mobilité pour se protéger ou pour s’enrichir, sur tous les plans. Toutes les migrations ne sont pas subies, l’exil peut être un choix. Il ne faut pas euphémiser les drames mais ne pas victimiser l’ensemble des exilés, montrer le rejet et les discriminations, mais aussi les luttes pour l’égalité et les dynamiques de solidarité.
Parlez-nous de ce témoignage troublant de Nababin Koné, ivoirien qui quitte son village à l'âge de 13 ans. Le dispositif voulu par l'artiste ?
Il s’agit d’un témoignage collecté dans le cadre d’un projet mené avec le collectif Accueil Migrants de la petite ville de Barbezieux, en Charente, que l’on retrouve plus loin dans l’exposition. Ce n’est pas un geste artistique, mais une démarche patrimoniale menée par le Musée. Le témoignage intégral -dans l’exposition seul un montage de quelques minutes est présenté- est intégré au patrimoine national, il est dorénavant protégé et reconnu au même titre que la Joconde. On considère souvent le musée dans ses fonctions médiatiques (ex. l’exposition) mais son rôle d’archive est fondamental. La captation des témoignages au Musée national de l’histoire de l’immigration s’effectue de manière à privilégier le témoignage direct, donc le dispositif est le plus sobre possible. Les tournages peuvent se faire au musée ou à domicile -comme pour M. Koné- selon la volonté des témoins.
La franco Marocaine Bouchra Khalili décide elle, de renverser les codes de l'entretien. Les migrants racontent leur périple carte et feutre en main. Que suppose cette mise en scène ?
Pour les Mapping Journey il s’agit d’un dispositif vidéo qui repose sur un plan-séquence fixe et frontal, fondé sur l’écoute, le geste et la parole. A l’opposé du registre de l’interview, chaque participant fait le récit en hors-champ de son voyage et le dessine simultanément sur une carte. Ainsi en inscrivant leur parcours périlleux, singulier, fragile sur une carte géographique, les migrants donnent naissance à une autre cartographie qu’esquissent des routes migratoires contemporaines.
L'espace Studio Rex, montre des portraits. Un mot sur ce travail signé Grégoire Keussayan ?
Les collections du Musée national de l’histoire de l’immigration possèdent un fonds photographique particulièrement développé. Le Studio rex est l’un de ses chefs-d’œuvre, le musée conserve l’enseigne ainsi que plusieurs centaines de tirages et de négatifs resté dans ce studio de photo où de nombreux Marseillais, dont probablement une part importante de personnes d’origine étrangère se faisaient photographier. Une page sur le site est dédiée à ce fonds. https://www.histoire-immigration.fr/collections/le-studio-photographique-rex
L'exposition dévoile également les luttent des locaux engagés dans des collectifs d'accueil. Un message universaliste donc ?
En référence aux réponses précédentes, la collecte de témoignages et d’objets pour le Musée concerne les personnes exilées mais aussi celles et ceux qui jouent un rôle dans les migrations, anciennes et contemporaines. Le sujet du musée est de faire connaître l’histoire et les faits sociaux liés aux migrations, pour ce faire il faut multiplier les points de vue (artistes, témoignages, chercheurs…). C’est par la rigueur de son travail patrimonial et de sa programmation culturelle que le Musée agit. Il n’a pas vocation à diffuser un message politique ou philosophique, c’est une institution scientifique et culturelle en qui les publics ont confiance, ils savent que ce qui leur est proposé s’appuie sur le respect des faits, des données et des personnes.
Artistes :
Charlie Aubry
Katinka Bock
Seham Boutata
Claude Closky
Teresa Fernandez-Pello
Juliette Green
Mathieu Kleyebe Abonnenc
Aung Ko
Amalia Laurent
Nge Lay
Kokou Ferdinand Makouvia
Rirkrit Tiravanija
Vivien Zhang
Commissariat :
Jean de Loisy, critique d’art et commissaire d’expositions
Raphaël Giannésini, commissaire d’expositions
Christine Piquéras, directrice du bâtiment et de la programmation culturelle au Palais de la Porte
Dorée
Cécile Vermorel, chee du service de la coordination et de la programmation culturelle au Palais
de la Porte Dorée
Crédit photos :
Mohamed Bourouissa, Marco Barbon, Laetitia Tura, Taysir Batniji, Cyril Zannettacci, Barthélémy Toguo,