Jean Garrigues : "La dissolution fut une décision personnelle d’Emmanuel Macron, un coup de poker qui visait à enjamber la défaite des européennes"

Par
Yasmina Jaafar
11 décembre 2024

Les journalistes Michèle Cotta et Patrice Duhamel, et l’historien Jean Garrigues ont écrit le documentaire, "Dissolution – Histoire d’un séisme politique". Réalisé et coécrit par Pauline Pallier, le film raconte la dissolution de l'intérieur par vingt personnalités. Elles s’expriment sans langue de bois. c'est instructif et passionnant.

Diffusé le jeudi 5 décembre sur France 2 à 22h15, et accessible sur la plateforme France Télévisions.

Votre film "Dissolution – Histoire d’un séisme politique" avait-il pour ambition de montrer la coulisse politique en temps de crise ? 

Effectivement, il s’agissait d’abord de nous interroger sur les motivations du président de la République et sur la façon dont ses amis et ses adversaires politiques, mais aussi ses prédécesseurs Nicolas Sarkozy, François Hollande, ou des observateurs expérimentés comme Alain Juppé ou Manuel Valls avaient vécu intimement ce moment exceptionnel de notre histoire politique.

Comment s'est déroulée l'écriture à 6 mains (Michèle Cotta/Patrice Duhamel) ? 

Ce fut en réalité une écriture à huit mains avec la réalisatrice Pauline Pallier, sur la base d’un fil conducteur rédigé ensemble, et des questionnaires que chacun d’entre nous a conçu spécialement pour chacun de celles et ceux qu’il interrogeait.

La dissolution de juin 24 aurait-elle pu être évitée ou est-ce le résultat d'une suite de mauvaises décisions ? 

Oui, elle aurait pu être évitée. Ce fut une décision personnelle d’Emmanuel Macron, un coup de poker qui visait à la fois à enjamber la défaite des européennes, à fracturer la gauche et à prendre de vitesse le Rassemblement national. Mais le coup de bluff a échoué.

Dans l'histoire, les présidents ayant déclenché de l’article 12 de la Constitution ont-ils su davantage en expliquer la raison au peuple ? 

Les dissolutions du général de Gaulle en 1962 et 1968 ont recueilli l’adhésion du plus grand nombre, parce qu’il s’agissait avant tout aux yeux des Français de le maintenir au pouvoir. Celles de François Mitterrand en 1981 et 1988 étaient justifiées par la nécessité de se doter d’une majorité parlementaire. En revanche, la dissolution Chirac de 1997 n’a absolument pas été comprise parce qu’il disposait déjà d’une majorité confortable. Quant à celle d’Emmanuel Macron, c’est un fiasco communicationnel.

Après avoir interrogé Hollande, Sarkozy, Melenchon, Le Pen, Borne, Philippe, Bertrand, Wauquiez, Castets, Valls, Juppé, Berger, Braun-Pivet, Larcher, Bayrou, Faure…, quel est votre sentiment sur cet événement : Une réaction d'orgueil et un coup de sang ou une stratégie politique incomprise ? 

C’est sûrement un mélange des deux : d’une part, la réaction d’orgueil d’un président blessé par la claque des européennes et par l’incompréhension des Français ; d’autre part, une stratégie de fracturation de la gauche, qui pouvait se concevoir à la suite de l’implosion programmée de la Nupes. Mais l’erreur stratégique a été double : il a d’une part oublié la capacité historique de la gauche à se rassembler pour gagner les élections, ou en tout cas pour ne pas les perdre, et d’autre part il a sous-estimé la notabilisation du Rassemblement national, qui lui a permis de confirmer au premier tour des élections législatives sa percée spectaculaire des européennes.

Ces personnalités politiques parlent toutes sans langue de bois, presque avec gourmandise. Avez-vous été étonné par cette envie de dire, voire de dévoiler ? 

Nous avons été agréablement surpris par leurs réponses, sans langue de bois, sans précautions oratoires ni éléments de langage. C’est comme si la surprise de la dissolution avait eu un effet cathartique de libération de la parole. Chacun voulait être au niveau du moment historique qu’ils étaient en train de vivre.

Pensez-vous que Nicolas Sarkozy dise vrai : "Le problème du président de la république, ce n'est pas qu'il a trop de pouvoir. Mais qu'il n'en a pas assez" ? La décision de dissoudre en est un majeur pourtant ? 

Je pense exactement le contraire. Le gros problème de la fonction présidentielle aujourd’hui, c’est précisément la sur-présidentialisation d’un système conçu pour être équilibré. L’hyper-président, ou le président jupitérien, ayant usurpé les pouvoirs du Premier ministre, an dépit des articles 20 et 21 de la Constitution qui attribuent à ce dernier le pouvoir de « déterminer et de conduire la politique de la Nation », le président est descendu dans l’arène partisane, là où pleuvent les coups et où survient très vite la disgrâce, aussi vite que la grâce l’avait propulsé au pouvoir. Emmanuel Macron en a fait la triste expérience, et il en récolte (de manière souvent très injuste) les fruits empoisonnés, qui sont la haine et l’impopularité. C’est pourquoi l’acte de dissoudre, qui est constitutionnel et que l’on n’avait pas reproché à ses prédécesseurs (même pas à Chirac, bien qu’il ait été compris) est apparu à beaucoup comme anti-démocratique. C’est du pain béni pour ceux qui prônent sa démission. Les présidents sans grand pouvoir de la IIIe et de la IVe République étaient beaucoup plus populaires qu’Emmanuel Macron, car ils incarnaient l’unité et la stabilité, ainsi d’ailleurs que les valeurs républicaines. Cela donne à réfléchir.

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