Édouard Rencker - Jazz Magazine : "Les lecteurs privilégiaient les « grandes histoires », les dossiers longs, les papiers de fond. Ils souhaitent un journal dense, généreux, érudit. L’urgence c’est sauver la presse magazine malade de sa distribution."

Par
Yasmina Jaafar
8 avril 2025

Édouard Rencker dirige Jazz Magazine et Jazz News. L'ancien homme de communication, démarre comme journaliste. Un de ceux qui se passionne pour l’enquête, le récit et l'information. La vrai. Celle qui est fouillée et recoupée. Alors, rien de plus normal pour ce curieux naturel de défier la vie. Il achète Jazz Magazine alors que le titre est déficitaire, le remet à flot par une stratégie intelligente et impose Jazz News. Laruchemedia.com a souhaité rencontrer le professionnel des médias pour tout connaitre de son parcours :

Il y a prés de 12 ans, j’étais déjà, par passion, (modeste) producteur de jazz et avais sorti plusieurs albums lorsque j’ai rencontré Sarah Ténot, la fille de Frank. Elle était très attachée au journal hérité de son père mais celui-ci accumulait des dettes récurrentes qui devenaient trop lourdes et mettait clairement son avenir en péril . Elle m’a donc proposé de me le céder. J’ai à peine réfléchi ! En quelques heures ma décision était prise.  Je suis rentré à la maison en annonçant que j’avais acheté un journal ! Un « vrai » !

Nous avons rapidement tout changé: d’abord on a lancé une importante étude de lectorat, puis, résultats analysés, lancé une nouvelle formule: nouvelle ligne éditoriale, nouvelle maquette. Puis nous avons testé la nouvelle formule auprès d’un panel de lecteurs. Nous nous sommes aperçus que les lecteurs privilégiaient les « grandes histoires », les dossiers longs, les papiers de fond. Ils souhaitent un journal dense, généreux, érudit. Et qu’ils étaient très attachés au coté « patrimonial ». Jazz Magazine, c’est un subtil équilibre entre l’histoire, le patrimoine et l’actualité du jazz. 

Nous avons également modifier le réseau de distribution, changer de gestionnaire d’abonnement, mutualisé certains frais techniques avec des confrères (notamment Jeux Vidéo Magazine) comme les achats papier ou l’impression. Dans un second temps, nous avons commencé à diversifier nos activités avec la production de concerts, l’édition de livres sur le Jazz et la commercialisation de notre formidable patrimoine photo, notamment au travers d’expositions.

"Mon univers c’est Pink-Floyd et Keith Jarret, Led Zep et The Jazz Messengers, Bowie et Nina Simone ! Bill Evans et Deep Purple. Pour moi, le jazz est autant une musique qu’une philosophie, un regard sur le monde, voire une « politique » au sens Hellénistique  !"

J’ai été prés de dix ans journaliste et grand reporter, puis j'ai lancé une des premières agences françaises de ce que les anglo-saxons appellent le « featuring », à savoir la réalisation de reportages "clefs en main" pour la presse. À ce titre, l’agence collaboré avec prés d’une centaine de titres, du Monde au Télégramme de Brest… en passant par « Les Nouvelles Littéraires, Ça M’intéresse, Les Échos, l'Express... », ce qui m’a donné une assez bonne connaissance de la presse, de son fonctionnement, de ses logiques éditoriales et de ses contraintes. Puis mes activités dans la com’ m’ont confronté aux logiques digitales, aux nouveaux parcours de consommation via les médias sociaux, les logiques de SEO etc...

J’ai très tôt été bercé par le jazz. Mes parents en écoutaient beaucoup et ma mère dans sa jeunesse fut danseuse « acrobatique », on l’a voit d’ailleurs danser à La Huchette dans le superbe film de Marcel Carné « Les Tricheurs » . Même si j’ai par la suite beaucoup écouté de rock, de Pop, de Métal et de musique électronique, le jazz a toujours été comme une seconde « maison » dans laquelle on revient toujours. Mon univers c’est Pink-Floyd et Keith Jarret, Led Zep et The Jazz Messengers, Bowie et Nina Simone ! Bill Evans et Deep Purple. Pour moi, le jazz est autant une musique qu’une philosophie, un regard sur le monde, voire une « politique » au sens Hellénistique  ! Le jazz n’est jamais là où on l’attend. Il est mouvant, adaptable, évolutifsuit ou même précède les courants sociaux. Il est également, de toute époque, une force de résistance, voire de contestation, y compris dans ses propres courants: Be-Bop contre la variété des années 30, Free contre le jazz cool en 60, etc… Aujourd’hui encore c’est souvent le seul trait d’union entre l’électro, la Soul, le Funk, la Bossa etc… Le jazz n’a pas de frontière, pas de limite. On l’a dit dix fois mort et il n’a jamais été aussi créatif et productif qu'en ce moment en France. Nous recevons plus de 400 disques par an à la rédaction !

Enfin, c’est un patrimoine inestimable: d’Errol Gartner à Herbie Hankock, de Billy Holiday à Nancy Sinatra et Nina Simone, De Monk à Keith Jarret… c’est un monde de génies exceptionnels !

Nous avons repris Jazz News il y a 5 ans. C’est un magazine très complémentaire de Jazz Mag, tant en terme de ligne éditoriale que de lectorat. Jazz Magazine, c’est la revue « patrimoniale » : elle traite des "monstres sacrés", des grands courants du jazz, des époques clefs. Ce sont des formats éditoriaux longs. Jazz News ne traite que du jazz actuel, contemporain et des jeunes artistes. C’est un journal dense, « zapping », hyper-réactif. Nous pouvons aborder des thèmes iconoclastes comme: le « silence » , ou les « sales affaires » du jazz. Les lecteurs ne sont pas du tout les mêmes…à part les fans qui lisent les deux !

Les kiosques disparaissent en effet à une vitesse inquiétante. En 5 ans, nous sommes passés de près de 25 000 points de vente à environ 18 500 et nous venons d’en perdre plus de 700 en 2024. Or, ces points de vente sont indispensables pour trouver notre lectorat. Les taux de vente sont directement liés au nombre de points de vente dans lesquels nous sommes diffusés. 10 kiosques en moins, c’est au moins 15 exemplaires perdus ! D’autant qu’on a fait des tests, un lecteur qui ne trouve pas son magazine en kiosque ne va pas à un autre point de vente ! C’est un lecteur perdu.Je pense, hélas,  que c’est inéluctable…le modèle kiosque va disparaitre. Il faut s’y préparer. La solution: la vente en ligne au numéro avec livraison sous 24h00. Une sorte de « portage » digitalisé. Mais il faut changer les habitudes des lecteurs et instaurer de nouveaux réflexes de consommation. Il faut que toute la presse magazine se mobilise pour inventer un nouveau moyen de trouver ses lecteurs ! Sinon, la presse magazine va disparaitre.

Oui, nous les avons rencontré plusieurs fois, de même que le CNM. Je suppose qu’ils sont à l’écoute. L’enjeu va bien au delà de Jazz Magazine. C’est toute la presse magazine et notamment la presse culturelle qui est menacée de disparaitre. Les ventes kiosques représentent traditionnellement 30% des revenus d’un journal. Si ces ventes disparaissent, l’équilibre économique est fortement mise en question.

Nous réfléchissons à de nouveaux formats, à développer nos concerts en province, notamment pour aller à la rencontre de nos lecteurs, à travailler sur des séries de podcasts etc… les projets ne manquent pas. Les défis de la presse sont nombreux et la promotion du jazz est une cause infinie ! Mais pour l’instant, l’urgence c’est sauver la presse magazine malade de sa distribution.

Photo Une : William Para

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Yasmina Jaafar
Productrice, journaliste, fondatrice du site laruchemedia.com et de la société de production LA RUCHE MEDIA Prod, j'ai une tendresse particulière pour la liberté et l'esprit critique. 

Et puisque la liberté n’est possible que s’il y a accès à l’instruction, il faut du temps, des instants et de la nuance pour accéder à ce savoir.
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