"J'ai grandi dans une famille résolument antifasciste". Christina Rosmini est une chanteuse Marseillaise absolument féministe et antiraciste. Ses textes sont empreints d'influences multiples. Un concentré d'universalisme et de générosité artistique. Laruchemedia.com est partenaire de l'artiste pour la tournée de concert débuté le 22 avril. Jusqu'au 17 juin, vous pouvez découvrir son univers chaque soir mardi, 21h, à la Divine Comédie.
Que signifie le titre de votre album "INTI" ?
Au départ, ce projet, qui rend hommage à plusieurs peuples premiers ainsi qu’à notre nature sauvage, devait s’intituler Louve, d’après le titre d’une des chansons de l’album. Mais plus le travail a avancé, plus mon univers, influencé par de nombreuses cultures « des suds », s’est révélé, une fois encore, bien plus « solaire » que « lunaire ». J’ai donc cherché un titre bref, lumineux, évoquant clairement cet astre et, si possible, en lien avec les peuples autochtones. Le nom du Dieu Soleil chez les Incas, INTI, a jailli et s’est imposé naturellement… avec en plus un petit clin d’œil inconscient à l’Orient et à mon travail sur les femmes, puisque Inti veut également dire « toi » au féminin en arabe. C’était parfait, l’aventure pouvait commencer !
Comment travaillez-vous vos textes ?
La « cheville » de ma chanson m’apparaît systématiquement sous la forme d’un petit extrait abouti, paroles et musique mêlées. À partir de là, je développe toute la partie musicale : mélodie, harmonie et arrangements. Enfin, c’est presque toujours le même processus : je déploie plusieurs pages sur le thème, cinq, dix, quinze… à partir de ce cadre musical. Puis je réduis, sélectionne, condense, jusqu’à ce que, comme dans un puzzle, je n’aie plus qu’à chercher, parfois pendant des jours ou des semaines, la ou les pièce(s) manquante(s), pour parfaire le tableau à mes yeux et mes oreilles.
Quels sont vos 5 artistes préférés ? Les influences qui ont construit vos créations ?
C’est très dur de répondre à cette question ! Ca va de Debussy à Rosalía ! J’ai grandi bercée par la grande Chanson française et les chants traditionnels de mes origines. J’en garde Léo Ferré, Moustaki, Brassens, Barbara, Fugain, Ferrat, Maxime le Forestier… Mais aussi Paco Ibañez, mettant en musique les plus grands poètes espagnols dont Lorca, Alberti, Machado, Miguel Hernandez… J’ai ensuite écouté beaucoup de flamenco et de musique sud américaine. J’en garde Paco de Lucía, Camarón de la Isla, Astor Piazzolla, Mercedes Sosa, Chavela Vargas, Atahualpa Yupanki et le groupe Quilapayún… que j’ai écouté-e-s en boucle toute mon adolescence ! À cette même époque, la musique orientale, allant du traditionnel au raï, est aussi entrée dans ma vie. J’en garde Fayrouz, Oum Kalthoum et surtout Idir, qui reste pour moi une source d’inspiration renouvelée.
La pop et la folk n’étaient pas mes musiques de prédilection. J’en garde néanmoins Supertramp, Cat Stevens et bien sûr Joan Baez, qui a été mon tout premier concert et coup de coeur quand j’avais six ans. Ses valeurs, sa double culture, son écriture, sa voix claire, son courage, son engagement, tout ça continue à m’émouvoir et me mouvoir encore aujourd’hui.
Côté classique, l’École Française me bouleverse et j’ai également gardé de mes années de « petit rat" de l’Opéra, une tendresse toute particulière pour Tchaïkovski et les grands Maîtres du Ballet en général. Et aujourd’hui, je suis impressionnée , et très inspirée, par cette jeune génération de femmes talentueuses et souvent engagées, même dans le mainstream, comme Rosalía, Pomme, Clara Luciani, Zaho de Sagazan et tant d’autres que je trouve remarquables et inspirantes. Ça donne de Foi en l’avenir ! Et puis j’ai un chouchou : c’est Philippe Katerine ! Mais bon, si on n'en garde que 5, qui m’ont nourrie toute ma vie, on va dire : Joan Baez, Barbara, Idir, Paco Ibañez et Mercedes Sosa.
L'exil et le fascisme sont des thèmes chers à vos yeux. Racontez-nous le parcours de vos grands parents dans les années 30 ?
Ma légende personnelle se construit entre mythes et réalités, et quelque chose de difficilement vérifiable circule dans l’imaginaire de ma famille, aussi bien du côté espagnol que du côté italien (et corse). Ce qui est certain c’est que mes grands-parents espagnols sont arrivés en France avant le franquisme, poussés par la misère, comme tant d’autres migrants à toutes les époques. Mais, les frères de ma grand mère sont bien morts côté Républicain.
Et on raconte que mon arrière grand-mère est restée assise toute la durée de la guerre civile, devant sa fenêtre, quasiment sans manger ni dormir, à attendre le retour de son fils Angel (grand oncle que j’ai bien connu), parti combattre dans les rangs du fameux Quinto Regimiento. Du côté italien, mon grand-père était de Marzabotto, village qui a connu un peu le même sort tragique que celui d’Oradour-sur-Glane, et il aurait fui l’Italie avant la guerre pour des raisons tant économiques que politiques.
Bref, en effet, j’ai grandi dans une famille résolument antifasciste, et immigrants de tous les côtés. Mais, contrairement à certains petits-enfants d’exilés, d’expatriés, que l’on voit aujourd’hui vouloir appliquer la fameuse maxime « le dernier ferme la porte », non seulement je n’ai pas oublié d’où nous venons, mais je garde, très vivaces, la mémoire et la douleur de l’exil des miens. Ce qui, sans doute, m’amène naturellement à regarder - et traiter - tout étranger avec empathie et compassion.
Vous avez voyagé en Inde, en Afrique, à Cuba ou au Québec... Marseille est votre port d'attache. Pourquoi ?
J’aimerais pouvoir vous dire que je l’ai choisie parce qu’elle est une ville incroyable, cosmopolite, bigarrée, ouvrière, excessive, bordélique, chaleureuse, attachante, un peu folle…etc. Mais, en réalité, ce sont mes grands-parents qui ont fait ce choix pour moi, puisqu’ils se sont tous les quatre installés-là et que j’y suis née comme tous les miens ! La seule chose que je peux affirmer, c’est qu’il m’a fallu vivre à Paris quelques années pour réaliser à quel point ma ville était belle et intense, et combien j’y étais viscéralement attachée. Ce qui est sûr c’est que, d’où qu’on vienne,en s’installant à Marseille, on acquiert très rapidement une identité forte et indélébile. Au point de se sentir très vite « fier d’être marseillais-e » comme dirait l’autre !
Comment avez-vous pensé votre série de concerts à la Divine Comédie entre le 22 avril et le 17 juin ? Narration scénique, équipe de musiciens…
Il y a longtemps que j’avais envie de « m’installer » quelques temps sur une scène parisienne, histoire de pouvoir avoir la possibilité de rencontrer un public différent et également de nouveaux programmateurs, qui ont du mal à venir lorsqu’on ne leur offre qu’une représentation isolée !
Nous avons créé INTI au Théâtre Du Chêne Noir, au festival d’ Avignon, et joué trois fois l’année dernière, en formule quintette, au Studio De L’Ermitage.
Là, pour la première fois, nous seront en formule trio. Vu que la Divine Comédie est un tout petit écrin, vu la proximité physique avec le public, j’ai eu envie d’une plus grande intimité musicale aussi, d’une proposition plus organique qui permette un échange plus fort et peut-être encore plus chaleureux avec les spectateurs. J’ai choisi de garder la guitare de Bruno Caviglia, et l’accordéon de Sébastien Debard (également bandonéoniste et pianiste sur les grosses formules), même si on conserve le son de l’album avec la musique additionnelle qui nous accompagne toujours sur ce projet. Sur les deux premières dates Sébastien sera remplacé par Christophe Lampidecchia, et Bruno sera également remplacé le 29 avril par le guitariste flamenco Mathias Berchadsky…. Aussi excellents et inspirants les uns que les autres ! Bien sûr, la scénographie de mon merveilleux partenaire décor, le plasticien-origamiste Junior Fritz Jacquet, sera réduite à sa plus simple expression. Tout sera là dans ce petit écrin… Mais en concentré !
Dans votre livret, vous expliquez chaque genèse de chaque titre. Transmission et lien avec votre public sont vos mots-clés ?
Dans un album, il me semble important d’offrir le contexte, de partager le pourquoi de ces chansons avec ceux qui les découvriront.. Sur scène aussi, d’ailleurs, j’ai tendance à révéler l’envers du décor… même si c’est fait différemment. Concernant la transmission, je crois que, d’une manière ou d’une autre, les artistes sommes des passeurs.
Certains concentrent leur travail sur la dimension émotionnelle, poétique, vibratoire… D’autres se racontent et livrent leur(s) expérience…(s) de vie. D’autres, enfin, partagent des histoires qui leur tiennent à cœur, témoignent de leur époque, dénoncent ce qui les indignent, jusqu’à, parfois, faire de leurs chansons des étendards. Je crois que j’ai, malgré moi, été influencée par ces trois catégories-là et que j’ai gardé quelque chose de chacune. J’ai aussi pu constater que, parfois, nos chansons les plus personnelles sont celles qui finalement renvoient à l’universel, et que de nombreuses personnes m’écrivent pour me raconter comment tel ou tel texte les a touchées pour être entré en résonance avec leur propre histoire.
Un mot sur le titre "Rouge » ?
Je voulais rendre hommage aux peuples autochtones en danger encore et toujours. J’ai choisi de le faire par le prisme de deux « routes de la honte », de l'Amazonie au Canada. Plusieurs rencontres ont donné naissance à ce titre :
- Celle au Québec, dans la réserve de Wendake, avec Okia, conteuse qui m’a appris le chant à la Lune de son peuple Huron-Wendat et m’a permis de « trouver » mon tambour.
- Celle avec un livre « Sœurs volées » d'Emmanuelle Walter et Widia Larivière, qui révèle l’histoire des féminicides systémiques de femmes autochtones au Canada, entre autre le long de la « route des larmes »…
- Celle, enfin d’un chant, enregistré dans la forêt d’Amazonie, celui de l’indienne Claudia Tikuna, de la tribu des Sateré Mawé. Je l’ai découvert grâce à mes amis de l’enseigne Guayapi, qui font un travail remarquable, entre autre avec cette tribu autour du Waraná.
Je me suis engagée à parler de la démarche de cette tribu et à témoigner du danger que courent les peuples autochtones à cause du dérèglement climatique, des incendies qui en découlent, des choix politiques désastreux favorisant les trafiquants de bois et autres… Le Conseil des Sages m’a ainsi donné sa bénédiction et l’autorisation d’utiliser la voix de Claudia sur ma chanson. Je leur en suis très reconnaissante.