Olivier Véran doit s’exprimer ce soir. Le ministre va-t-il durcir les mesures au regard des mauvais chiffres (4000 patients en réanimation) ? En attendant le professeur et spécialiste en virologie Vincent Maréchal nous répond sur la pertinence de ce deuxième confinement.
Quel est votre avis sur les justifications fournies par le Président pour expliquer ce confinement saison 2 ?
La décision du Président Macron s’appuie sur la dégradation brutale des indicateurs hospitaliers – niveau d’admission à l’hôpital en général et dans les services de réanimation en particulier, augmentation des décès, difficultés de reprogrammation des interventions urgentes – autant d’indicateurs qui doivent frapper les esprits pour emporter l’adhésion de la population. S’y ajoute le fait que cette vague touche toutes les régions : en filigrane, on comprend que les transferts de patients ou de personnels entre les régions ne font plus parties des solutions.
Pour autant, ces indicateurs sont relativement « tardifs » si l’on considère que les personnes admises en réanimation ont été infectés 2 à 3 semaines plus tôt. Les données épidémiologiques soulignaient pourtant une augmentation brutale du nombre d’infections (taux de positivité, incidence accrue dans toutes les classes d’âge) depuis début octobre. En conséquence, l’urgence d’une solution radicale pour endiguer une deuxième vaque était devenue évidente pour de nombreux observateurs, même si la hauteur de cette vaque a surpris le plus grand nombre.
Rappelons que le confinement, qui a fait la preuve de son efficacité en mars, est finalement la seule mesure sanitaire que l’on peut prendre lorsque l’on veut bloquer la circulation virale en s’affranchissant de la capacité de chacun à prendre ses responsabilités pour limiter l’épidémie. C’est – en ce sens – très décevant sur notre capacité à répondre solidairement et en pleine conscience à cette crise.
Avons-nous réagi trop tard ?
Dès le 2 juin dernier, le conseil scientifique avait décliné 4 scenarios possibles dont le plus pessimiste envisageait explicitement « une dégradation critique des indicateurs [qui] traduirait une perte du contrôle de l’épidémie, et exigerait des décisions difficiles, conduisant à choisir entre un confinement national généralisé, permettant de minimiser la mortalité directe, et d’autres objectifs collectifs, économiques et sociaux, s’accompagnant alors d’une importante mortalité directe. ». Le 27 juillet 2020, ce même conseil prenait acte d’une recirculation active du virus en France associée à la réduction de la plupart des mesures barrières. Les données d’incidence par classe d’âge montrent que le virus a surtout circulé chez les 15-44 ans depuis fin juillet jusqu’à mi-septembre. Avant même que ces données ne soient publiées, l’Observatoire épidémiologique dans les eaux usées (OBEPINE) que nous avons mis en place démontrait dès le 20 juin que le virus - indétectable dans les eaux usées depuis la fin du confinement – était à nouveau présent dans plusieurs stations d’épuration de la région Ile de France : les concentrations que nous avons mesurées n’ont cessé d’augmenter tout l’été, jusqu’à atteindre les niveaux observés en mars dernier, quand le premier confinement a été décrété. De façon intéressante, la vitesse de circulation du virus mesuré dans les eaux usées était plus lente. C’est une conséquence attendue d’un meilleur respect des mesures barrières (nous avons des masques ce qui n’était pas le cas en mars) et, sans doute, d’une meilleure protection des personnes les plus fragiles. Toutefois, l‘augmentation inexorable de la circulation virale en Ile-de-France depuis juin correspond aussi au moindre respect de certaines de ces mesures. Nous avions informé la ville de Paris et l’ARS Ile de France dès fin juin (https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/07/08/des-traces-de-covid-19-dans-les-eaux-usees-a-paris-interrogent-sur-un-possible-retour-de-l-epidemie_6045540_3244.html). A cette époque, la portée de cet indicateur était encore difficile à évaluer d’autant que les autres indicateurs étaient au beau fixe sous le soleil des congés d’été.
La mesure du couvre-feu avait-elle du sens compte tenu de la force de cette seconde vague ?
Le couvre-feu a été proposé pour réduire les contacts sociaux en soirée, un déterminant majeur dans la circulation du virus. Assez peu d’études scientifiques en démontrent l’efficacité, mais on conçoit assez bien que la réduction des contacts sans masque – au restaurant, dans les bars ou dans les soirées privées – ait un impact positif. Par ailleurs, le couvre-feu mis en place en Guyane – dans un contexte très différent de celui de la France métropolitaine – avait donné de bons résultats. Compte-tenu de la durée d’incubation de l’infection, du délai d’apparition des formes graves, il aurait sans doute fallu attendre 3 à 4 semaines pour percevoir les premiers effets du couvre-feu décrété le 17 octobre dernier en région parisienne et dans huit métropoles. De toute évidence, l’exécutif a choisi de ne prendre aucun risque supplémentaire en durcissant les mesures sans attendre les signes positifs de cette première mesure.
Aviez-vous prévu cette force ? Toute l’Europe semble submergée…
La disparition du virus au printemps était un leurre : quand bien même aurions-nous contrôlé le virus en France à l’issue du déconfinement, voire en Europe, nous savions qu’il était hors de contrôle dans de nombreux pays de l’hémisphère sud et n’aurions pas empêché sa réintroduction. Il était d’ailleurs prévisible qu’il continuerait à circuler tout l’été à un niveau faible, pourvu que les gestes barrières soient rigoureusement respectés, ce qui n’a pas été le cas.
A mon sens, plusieurs séries de facteurs peuvent expliquer cette seconde vague et son amplitude.
Le virus se transmet principalement par voie respiratoire (gouttelettes de salive, aérosols). Plusieurs facteurs se combinent pour réduire sa circulation l’été : le virus est sensible à la chaleur et aux UV (quoique ceux-ci sont sans effet dans les espaces clos) et, plus important encore, nous vivons davantage en extérieur et ventilons les pièces ce qui réduit l’impact des aérosols. En période froide, l’auto-confinement, la fatigue des organismes peut-être, et la résistance plus élevée du virus dans l’environnement pourrait faciliter sa transmission. Ce phénomène a pu s’amplifier à la rentrée avec la reprise des activités scolaires, universitaires et professionnelles qui sont propices à l’augmentation des contacts sociaux, ne serait-ce qu’au moment des repas, et par une météo moins favorable. Par ailleurs, l’augmentation des réunions familiales, des soirées festives durant l’été, souvent sans masque, a pu aider le virus à circuler au sein d’une population de gens jeunes moins sensibles aux formes les plus graves, ce qui est confirmé par les données épidémiologiques. La perméabilité entre les classes d’âges a abouti – de façon assez brutale – à la diffusion du virus vers les plus fragiles, ce qui s’est traduit par une dégradation de la situation dans les hôpitaux. Rappelons enfin que la première vague n’aurait touché que moins de 10% de la population française en moyenne. Sous réserve que les gens infectés soient immunisés de façon durable, ce qui n’est pas établi, une large fraction de la population était susceptible d’être atteinte lors de la seconde vague.
Ce regain rapide indique-t-il que le virus a muté ?
La question de la virulence a beaucoup pollué les débats à mon sens. Cette théorie, qu’il est légitime de discuter entre scientifiques, ne repose à l’heure actuelle sur aucune donnée validée. Tous les organismes évoluent par mutation – c’est une notion consubstantielle au monde vivant – et le SARS-CoV-2 n’échappe pas à la règle. Toutefois, la question la plus importante est de savoir si les mutations acquises par le virus ont un effet ou non sur son comportement. En règle générale, on s’attend à ce que les virus sélectionnent des mutations qui leur sont bénéfiques, des mutations qui vont faciliter leur transmission par exemple. Être moins virulent (rendre son hôte moins malade) peut profiter au virus : un hôte contagieux, non malade, c’est un hôte qui se déplace et qui peut transmettre plus facilement le virus. De tels phénomènes ont été observés pour d’autres agents pathogènes, ce qui ne veut pas dire que c’est le cas pour le SARS-CoV-2. La question de la baisse de la virulence s’inscrit dans une interprétation excessive de travaux publiés au printemps et durant l’été. Les premiers articles montraient que certaines mutations dans la protéine Spike (protéine de surface essentielle à l’infection des cellules) étaient devenues très fréquentes, sans démontrer toutefois qu’elles modifiaient la virulence du virus. D’autres publications ont montré que d’autres mutations, beaucoup moins fréquentes, réduisaient probablement la virulence. L’ensemble de ses données a été mis en perspective avec une analyse un peu trop rapide des données épidémiologiques de la fin de l’été, qui soulignaient que le nombre de cas positifs (RT-PCR) augmentait sans qu’il y ait dans le même temps une augmentation des formes graves. De là à conclure que le virus était moins virulent, il n’y avait qu’un pas. Cette discordance pouvait s’expliquer simplement : en cette fin d’été, le virus circulait principalement chez des sujets plutôt jeunes qui n’étaient pas à risque de faire des formes graves. La circulation du virus chez les plus fragiles, ce que nous observons depuis, se traduit comme en mars par une augmentation des formes graves : les données de fin octobre montrent que 62% des patients admis en réanimation avaient plus de 65 ans, ils étaient 65% en mars dans cette même classe d’âge. Près de 89% d’entre eux présentent des facteurs de comorbidité, comme durant la première vague. Aucune raison, a priori, de supposer que la virulence est différente aujourd’hui.
Les hôpitaux auraient-ils réellement pu anticiper et développer leur capacité ?
Je n’ai pas de compétence particulière pour évaluer la capacité d’anticipation du secteur hospitalier à la seconde vague. Il a bien résisté à la première mais au prix d’efforts humains qui seront difficiles à concéder une seconde fois. Nous connaissons tous, en revanche, certains paramètres de l’équation : il faudra gérer les formes graves tout en reprogrammant certaines interventions ; ceci dit, certaines opérations ne pourront plus être retardées indéfiniment. Par ailleurs, si de nouveaux moyens matériels peuvent être accordés, c’est la disponibilité des personnels formés qui va vite devenir limitante. Enfin, la seconde vague frappe la totalité du territoire, ce qui va limiter les transferts de patients et/ou de personnels. Je ne sais pas si une meilleure concertation des secteurs publics et privés permettra d’apporter des solutions, mais il faut l’espérer. Enfin, il faudra veiller à limiter au maximum les dégâts collatéraux : pendant la première vague, certains patients non-Covid n’ont pas voulu se signaler, par peur de la contamination nosocomiale ou par peur de « gêner » un système en tension. Dans le cas de problèmes vasculaires (A.V.C notamment), ce retard a pu avoir des conséquences désastreuses qui ont été découvertes au moment du déconfinement. Il faut rappeler à tous que le système de soin, même en tension, continuera à prendre en charge les pathologies graves.
Qu'avons-nous raté au déconfinement du 11 mai et comment ne pas réitérer ces manquements le 30 novembre (si pas de renouvellement du confinement) ?
Je ne sais pas si nous avons raté le déconfinement. Je préfère dire que nous avons réussi le confinement de façon spectaculaire mais que nous n’avons pas su tenir la distance. Depuis le déconfinement, les rapports de Santé Publique France n’ont cessé de confirmer un recul de la plupart des mesures barrières à l’exception notable du port du masque en public (se saluer sans serrer la main ou s’embrasser ; se laver les mains régulièrement ; garder une distance d’un mètre au moins ; éviter les rassemblements et réunions en face-à-face). Sans stigmatiser tel ou tel groupe social ou classe d’âge, force est de constater que la circulation virale a repris de façon marquée durant l’été, une situation qui fait écho aux réunions de famille ou aux fêtes qui ont eu lieu pendant les congés sans un respect strict des gestes barrières. Aurait-il fallu, comme certains ont pu le suggérer, limiter le confinement aux plus âgés et aux plus fragiles ? Fallait-il intervenir plus tôt et compter un peu moins sur la responsabilité individuelle ? C’est davantage un choix de société qu’une décision sanitaire, mais il est clair que même si des indicateurs nous invitaient à une réaction rapide et forte dès la fin de l’été, une décision politique n’aurait sans doute pas été comprise avec des hôpitaux qui n’étaient plus en tension. Le poids économique et social des mesures qui auraient été envisageables était alors sans rapport avec ce que nous observions. Le succès d’une gestion de crise se lit dans la capacité qu’ont les systèmes à anticiper. Sur ce point précis, nous avons sans doute failli deux fois et de façon collective.
Êtes-vous optimiste ?
L’arrivée d’une seconde vague ne m’a pas inquiété, elle était prévisible. En revanche, son ampleur me préoccupe à plusieurs titres. Je m’inquiète pour la capacité de notre système de santé à la supporter : serons-nous en mesure de mieux articuler la réponse hospitalière et celle des autres acteurs de notre système de soin (généralistes, pharmaciens, infirmiers.ères). Allons-nous mieux gérer les systèmes de tests, les prioriser à bon escient ? Avons-nous pris individuellement et collectivement conscience de l’importance de l’isolement des porteurs, une mesure qui rend caduque tout système de test si elle n’est pas prioritaire ? Comment va-t-on réduire la fracture que la crise COVID n’a cessé de renforcer entre les plus fragiles – socialement et économiquement – et les autres ? Enfin, nous sommes exposés – outre la crise liée à la COVID-19 – une vague incessante de mauvaises nouvelles qui affaiblissent notre capacité de résilience et nous expose à un risque psychologique majeur. Ces éléments compliquent sans aucun doute notre capacité à traverser sereinement cette période difficile.