"Il y a la nécessité de réveiller les neurones de ceux qui se sont tellement éloignés de la réalité des choses". GP Cremonini ne mâche pas ses mots. Il joue de la basse, il s'engage. C'est du pareil au même pour cet artiste complet. Italien, Vénitien et concerné par l'écologie, il défend sa ville et la planète des excès en tout genre. La sortie de l'album « Una vita fantastica » (chez KURONEKO distribution) est prévue le 13 Octobre. Le groupe Rockei, constitué de Fabio Bressanello voix lead, Sandro Marangoni guitare vcl et GP Cremonini à la basse vcl, sera sur scène le 20 Novembre 2024 au SUPERSONIC ( Paris ) à 20h30.
Comment s'est composé votre groupe ? Et depuis quand ?
C’était en avril 2022 : je venais de me séparer de mon restaurant (longue histoire, suite à l’Acqua Alta exceptionnelle (inondation périodique) du 12 novembre 2019 et à la COVID) et j’étais à la maison en me demandant ce que je ferais après. Un SMS d’un ami photographe, Fabio Bressanello, arrive avec un fichier musical et un message : « Écoute ! » Je m’exécute : c’était juste une maquette mais c’était un très bon morceau, très intéressant. Je demande : « Mais c’est qui ? » « C’est nous ! » me répond-il, puis il me raconte qu’au début des années 80, en 83 exactement, avec Sandro Marangoni, ils avaient un groupe de punk à Mazzorbo, une petite île à côté de Burano d’où ils viennent, au milieu de la lagune, avec des crêtes sur les crânes; leurs mères qui n’osaient plus sortir pour faire leurs courses tellement elles avaient honte des fistons. Le temps est passé, les crêtes se sont assouplies, ils venaient de se retrouver par hasard quelques mois auparavant. Le groupe avaient décidé de recommencer à faire quelque chose mais il leur fallait un bassiste. Et voilà comment je me suis retrouvé dans l’histoire !
Quelles sont vos inspirations musicales internationales ?
L’ouïe et l’odorat sont des sens toujours actifs. Il est impossible d’être imperméable à ce qui se passe autour de nous, donc autant en être conscients ! : David Bowie, Bauhaus, Talking Heads, Nick Cave, The Clash, Minimal Compact,The Cramps,The Jesus and Mary Chain, mais aussi la Motown, Prince, Nile Rodgers, Ernest Ranglin et Frank Zappa, Fela Kuti , Django Reinhardt, Molotov, Brel, pas mal de jazz et… Bach, …mais c’est juste pour commencer ! En réalité nous n’avons pas de groupes fétiches, mais nous avons écouté tout de ce qu’on pouvait entendre dans les années 70-80 et même ce qui a suivi : en travaillant un morceau on se laisse porter par ce vent qui chante à l’intérieur de nous.
La musique est-elle politique ?
Mais bien sûr ! Toute action qui s’ouvre aux autres est politique ! La question est plutôt de se demander si on veut donner une responsabilité politique à nos actions, et là forcément la réponse est encore oui. Il faut être conscient que chacun de ces agissements peut avoir une influence, une répercussion sur et pour les autres et sur ce qui se passe autour de nous. L’étymologie de “politique” est “polis” qui signifie “cité-état”. En grec, l’adjectif “politikós” se rapporte à tout ce qui concerne les citoyens ou l’État. Nous sommes des gens, nous vivons dans un lieu qui n’est pas un désert où je suis tout seul donc, si nous sommes des êtres humains conscients, nous faisons de la politique tous les jours, à chaque instant nous interagissons avec l’autre, c’est à nous ensuite de la pratiquer de la plus noble manière. C’est la différence entre “jouer un jeu” et “faire partie d’un jeu” : dans le premier cas, je serai le protagoniste de mon action, dans le deuxième, je ne serai qu’un pion dans les jeux de quelqu’un d’autre.
Vous êtes engagé dans l'écologie. Est-ce avant tout une affaire de formation des populations ? Une pédagogie ou faut-il une politique plus dure au regard de l'urgence ?
Quand on vit à Venise, la question écologique est une affaire quotidienne depuis le début de l’histoire de la Ville : de son commencement, il a fallu savoir traiter et trouver un équilibre avec un écosystème qui protégeait et en même temps, voir quels sont les dangers pour la survie de la Ville et de sa société. Encore aujourd’hui, la confrontation avec la nature est une affaire quotidienne (ce matin encore, les sirènes qui annoncent l’acqua alta ont sonné). Les vrais problèmes ont commencé à se présenter quand l’homme a décidé que l’argent commande et justifie toutes les règles, et des balafres qu’on ne peut ni justifier ni accepter ont commencé à défigurer et détruire l’équilibre de la Lagune. L’eau et la Ville s’entrelacent comme les doigts des mains qui se croisent, tu ne peux pas toucher l’une sans toucher l’autre, mais il faut savoir que, tôt ou tard, l’eau (la nature) reprendra toujours ses droits et elle le fera à sa façon : il faut donc agir en ayant conscience de cela. Autrefois, la population de Venise (et souvent aussi celles d’ailleurs) n’avait pas besoin d’être formée car elle avait déjà cette conscience liée à la vie quotidienne. Actuellement, dans un monde où l’on croit que nous sommes libres de faire n’importe quoi pour l’argent, car de toute façon après il y aura un générique, puis de l’espace pour les pubs, et enfin une nouvelle série policière… oui, là il y a la nécessité de réveiller les neurones de ceux qui se sont tellement éloignés de la réalité des choses (et du monde où ils vivent) ! C’est plus que jamais une question de survie, et à Venise, comme je le disais, nous sommes forcément conscients depuis toujours.
La Covid a rendu Venise aux vénitiens. Quel est votre regard sur cette période et le tourisme de masse ?
Il ne faut pas mal interpréter ce que je vais dire, mais… avec tout le respect pour ceux qui sont morts ou ont souffert, je voudrais un confinement chaque année ! Nous avons eu la chance de voir et vivre une Ville comme personne n’a pu la connaître avec une Lagune vivante comme elle pouvait l’être il y a des siècles : inutile de vous le dire, il faudrait vous le montrer pour le croire … Pendant cette période, personnellement, du côté économique, j’ai tout perdu et j’ai du recommencer à moins que zéro, et pourtant ça a sûrement été une des plus belles périodes de ma vie.
Depuis, pour le tourisme, ça n’a malheureusement rien changé, c’est peut-être même pire, et cela est dû à deux facteurs principaux :
Le premier est spécifique à notre Ville et à sa non-administration qui n’a rien fait pour tirer profit de la situation, je ne parle pas d’inverser la tendance, mais simplement au moins de la re-qualifier. Au contraire ils ont tout fait pour empirer la situation. À Venise, nous sommes victimes d’une aberration administrative à cause de laquelle ”notre” maire est élu par les habitants d’une autre ville, et ce maire ne réside ni dans une ville ni dans l’autre… Si vous ajoutez que lui-même a déclaré qu’il veut transformer Venise en une espèce de Disneyland et que, en même temps, est aussi mis en examen pour une affaire de corruption et de ”conflit” d’intérêt entre ce qui est public et ce qui est privé…à vous de comprendre. Je souligne que nous ne l’avons ni choisi ni n’avons voté pour lui.
Le deuxième facteur est plus global : j’entends le fruit d’une banalisation et de la sublimation de la “non-culture”, la nécessité de consommer en quantité et non en qualité : “j’ai fait Paris”, “j’ai fait Venise” alors qu’ils sont juste passés dans ces lieux pour faire des selfies et prendre encore en photo des plats… Je pense que tout le monde a le DEVOIR, pas seulement le droit, de venir au moins une fois à Venise, mais il faut avoir conscience du lieu où les personnes se trouvent, qu’ils sont en train de marcher sur 1300 ans d’histoire (1600 selon la légende), dans un lieu où un incroyable sens commun de survie est entrelacé avec une impossible folie de génie qui a su créer un rêve de pierre sur l’eau.
Quand ces deux facteurs se lient, saupoudrés par une spéculation financière qui ne respecte rien ni personne, le délicat équilibre entre milieu aquatique et la Ville ne peut que s’écrouler. La Ville a besoin d’un entretien quotidien que l’on ne peut avoir qu’avec des gens qui l’habitent, mais la non-politique de ce “maire” empêche la résidence (impossible de louer un appartement pour y vivre, il n’y a que des Airbnb et les règles pour les limiter sont consciemment non appliquées). Nous ne voulons absolument pas cela : ce n’est pas juste une question d’amour intense et passionnel pour un lieu, mais une question de bon sens. Ce n’est pas une question d’être ou non écologistes : c’est une question de vouloir être ou non des êtres humains.
Photo Francesco Barasciutti - Copertina